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LIVRE I, CHAPITRE VIII.


la matiere, ny du tout sans elle, mais est joincte avec elle, et peust aussi sans icelle subsister et vivre. Cet ordre et distinction est un bel argument pour l’immortalité : ce seroit un vuide, un defaut et deformité trop absurde en nature, honteuse à son autheur, et ruineuse au monde, qu’entre deux extremes, le corruptible et incorruptible, il n’y eust point de milieu, qui fust en partie et l’un et l’autre : il en faut par necessité un qui lie et joigne les bouts, et n’est autre que l’homme. Au dessous les ultimes, et du tout materielles, est ce-qui n’en a point, comme les pierres : au dessus les plus hautes et immortelles, est l’eternel unique Dieu.

L’autre separation non naturelle ny ordinaire, et qui se faict par bouttées et par fois, est très difficile à entendre, et fort perplexe : c’est celle qui se faict par extase et ravissement, qui est fort diverse, et se faict par moyens fort differens : car il y en a de divine, telle que l’escriture nous rapporte de Daniel, Zacharie, Esdras, Ezechiel, saint Paul. Il y en a de demoniacle [1] procurée par les demons et esprits bons ou mauvais, ce qui se lit de plusieurs, comme de Jean Duns dit Lescot, lequel estant en son extase

  1. Nous remarquerons, une fois pour toutes, que Charron écrit indifféremment demoniacle et demoniaque, maniacle et maniaque, etc. Sur certains mots, il n’y avait point encore d’orthographe et sans doute de prononciation, bien arrêtée.