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DE LA SAGESSE,


il faut, si elle n’est empeschée, et moyennant que ses instrumens soient bien disposés : dont a esté bien et vrayement dict par les sages, que nature est sage, sçavante, industrieuse, suffisante maistresse, qui rend habile à toutes choses, insita sunt nobis omnium artium ac viriutum semina, magisterque ex occuto Deus producit ingenia [1] : ce qui est aisé à monstrer par induction : la vegetative sans instruction forme le corps en la matrice tant excellemment, puis le nourrit et le faict croistre, attirant la viande, la retenant et cuisant, puis remettant les excremens, elle engendre et refaict les parties qui defaillent, ce sont choses qui se voyent aux plantes, bestes, et en l’homme. La sensitive de soy sans instruction faict, aux bestes, et en l’homme remuer les pieds, les mains, et autres membres, les gratter, frotter, secouer, demener les levres, tetter, plorer, rire : la raisonnable de mesme, non selon l’opinion de Platon, par reminiscence de ce qu’elle sçavoit avant entrer au corps ; ny selon Aristote, par reception et acquisition, venant de dehors par les sens, estant de soy une carte blanche et vuide, combien qu’elle s’en sert fort, mais de soy sans instruction, imagine, entend, retient, raisonne, discourt. Mais pour ce que cecy semble plus difficile de la raisonnable que des autres, et heurte aucunement

  1. « Les semences de tous les arts et de toutes les vertus sont en nous ; mais c’est Dieu qui, en secret, produit les talens ».