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LIVRE I, CHAPITRE VIII.


un lieu, ils ne peuvent estre ailleurs, et ne sont en lieu on infini, ou très grand ou très petit, mais égal à leur mesurée et finie substance et superficie. Et si cela n’estoit ainsi, les esprits ne changeroient point de lieu, ne monteroient ny ne descendroient, comme l’escriture affirme qu’ils font, et par ainsi seroient immobiles, indivisibles, seroient par-tout indifféremment : or, est-il qu’ils changent de lieu ; le changement convainq qu’ils sont mobiles, divisibles, subjects au temps et à la succession d’iceluy, requise au, mouvement et passage d’un lieu à autre, qui sont toutes qualités d’un corps. Mais pource que plusieurs simples, soubs ce mot de corporel, imaginent visible, palpable, et ne pensent que l’air pur, ou le feu hors la flamme et le charbon soient corps, ils ont dict que les esprits, tant séparés que humains, ne sont corporels, comme de vray ils ne le sont en ce sens ; car ils sont d’une substance invisible, soit aërée, comme veulent la plus part des philosophes et théologiens ; ou celeste, comme aucuns Hebrieux et Arabes, appellans de mesme nom le ciel et l’esprit essence propre à l’immortalité, ou plus subtile et deliée encores, si l’on veut, mais tousjours corporelle ; puis qu’elle est finie et limitée de place et de lieu, mobile, subjecte au mouvement et au temps : finalement, s’ils n’estoient corporels, ils ne seroient pas passibles, et capables de souffrir comme ils sont ; l’humain reçoit de son corps plaisir, desplaisir, volupté, douleur,