Page:Charron - De la sagesse, trois livres, tome I, 1827.djvu/115

Cette page n’a pas encore été corrigée
59
LIVRE I, CHAPITRE VIII.


sans corellatif : bref, c'est à dire ce qu'elle faict et est à autruy, non ce qu'elle est en soy.

Mais de dire ce que c'est, il est très mal aysé : l'on


    et irascible au cœur ; la naturelle vegetative et concupiscible au foye ; la genitale aux genitoires : ce sont les principales et capitales, ne plus ne moins que le soleil, un en son essence, despartant ses rayons en divers endroicts, eschaufe en un lieu, esclaire en un autre, fond la cire, seiche la terre, blanchist la neige, nourrist la peau, dissipe les nuées, tarist les estangs : mais quand et comment, si toute entiere et en un coup, ou si successivement elle arrive au corps, c’est une question. La commune opinion venue d’Aristote est que l’ame vegetative et sensitive, qui est toute materielle et corporelle, est en la semence, et avec elle descendue des parens ; laquelle conforme le corps en la matrice, et, iceluy faict, arrive la raisonnable de dehors ; et que pour cela il n’y a deux ny trois ames, ny ensemble ny successivement, et ne se corrompt la vegetative par l’arrivée de la sensitive, ny la sensitive par l’arrivée de la raisonnable : ce n’est qu’une qui se faict, s’acheve et se parfaict avec le temps et par degrés (i), comme la forme artificielle de l’homme, qui se peindroit par pieces l’une après l’autre, la teste, puis la gorge, le ventre, etc.

    (i) Cette option d'Aristote est aussi celle de Lucrèce, de Voltaire qui l'exposent en très-beau vers, etc. etc. L'ame est créée ou plutôt developpée avec le corps ; elle croît avec lui, et ne se manifeste que par ses organes. Voltaire dit :

    Est-ce là ce rayon de l'essence suprême,
    Que l'on nous peint si lumineux ?
    Est-ce là cet esprit survivant à lui-même ?...
    Il naît avec nos sens, croit, s'affaiblit comme eux :
    Hélas ! il périra de même.