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LIVRE I, CHAPITRE VIII.


muable, sans lequel l'animal est et vit : et puis c'est accident, et l'ame est substance : Item les mineraux et les choses inanimés ont bien un temperament des


    cense, et ne sont point puissances separées d’elle, comme aucuns veulent, pour faire plus de trois facultez de l’ame raisonnable.

    Le vulgaire, qui ne juge jamais bien, estime et faict plus de feste de la memoire que des deux autres ; pource qu’elle en compte fort, a plus de monstre et faict plus de bruict en public ; et pense-il que, pour avoir bonne memoire, l’on est fort sçavant, et estime plus la science que la sagesse : c’est toutesfois la moindre des trois, qui peust estre avec la folie et l’impertinence ; mais très rarement elle excelle avec l’entendement et sagesse, car leurs temperamens sont contraires. De cette erreur populaire est venue la mauvaise instruction de la jeunesse, qui se voyt par-tout (c) . Ils sont tousjours après à lui faire apprendre par cœur (ainsi parlent-ils) ce que les livres disent, affin de les pouvoir alleguer, et à luy remplir et charger la memoire du bien d’autruy, et ne se soucient de luy reveiller et esguiser l’entendement, et former le jugement, pour lui faire valoir son propre bien et ses facultés naturelles, pour le faire sage et habile à toutes choses. Aussi voyons-nous que les plus sçavans qui ont tout Aristote et Ciceron en la teste, sont plus sots et plus ineptes aux affaires, et que le monde est mené et gouverné par ceux qui n’en sçavent rien. Par l’advis de tous les sages, l’entendement est le premier, la plus excellente et principale piece du harnois. Si elle joue bien, tout va bien, et l’homme est sage ; et au rebours, si elle se mescompte, tout va de travers. En second lieu, est l’imagination : la memoire est la derniere.

    (c) Voyez L. III, Chap. XIV.