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grands, pour leur servir de bride et de reigle, ont ordonné que l’on leur sonnast souvent aux oreilles qu’ils estoient hommes. O le bel estude, s’il leur entroit dedans le cœur comme il frappe à leur oreille ! Le mot des atheniens à Pompeius Le Grand, autant es-tu dieu comme tu te recognois homme, n’estoit pas trop mal dict : au moins c’est estre homme excellent que de se bien cognoistre homme. La cognoissance de soy (chose très difficile et rare, comme se mesconter et tromper très facile) ne s’acquiert pas par autruy, c’est-à-dire par comparaison, mesure, ou exemple d’autruy ; (…) moins encore par son dire et son jugement, qui souvent est court à voir, et desloyal ou craintif à parler, ny par quelque acte singulier, qui sera quelquesfois eschappé sans y avoir pensé, poussé par quelque nouvelle, rare et forte occasion, et qui sera plustost un coup de fortune, ou une saillie de quelque extraordinaire enthousiasme, qu’une production vrayement nostre. L’on n’estime pas la grandeur, grosseur, roideur d’une riviere, de l’eaue qui luy est advenue par une subite alluvion et desbordement des prochains torrens et ruisseaux ; un faict courageux ne conclud pas un homme vaillant, ny un œuvre de justice l’homme juste : les circonstances et le vent des occasions et accidens nous emportent et nous changent ; et souvent l’on est poussé à bien faire par le vice mesme. Ainsi l’homme est-il très difficile à cognoistre. Ny aussi par toutes les choses externes et