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apprendra à ne s’y fier plus. Qui notera combien de fois il luy est advenu de penser bien tenir et entendre une chose, jusques à la vouloir pleuvir, et en respondre à autruy et à soy-mesme, et que le temps luy a puis faict voir du contraire, apprendra à se deffaire de ceste arrogance importune et quereleuse presomption, ennemie capitale de discipline et de verité. Qui remarquera bien tous les maux qu’il a couru, ceux qui l’ont menacé, les legeres occasions qui l’ont remué d’un estat en un autre, combien de repentirs luy sont venus en la teste, se preparera aux mutations futures, et à la recognoissance de sa condition, gardera modestie, se contiendra en son rang, ne heurtera personne, ne troublera rien, n’entreprendra chose qui passe ses forces : et voilà justice et paix par-tout. Bref nous n’avons point de plus beau miroir et de meilleur livre que nous-mesmes, si nous y voulions bien estudier comme nous devons, tenant tousiours l’œil ouvert sur nous et nous espiant de près. Mais c’est à quoy nous pensons le moins, (…) dont il advient que nous donnons mille fois du nais en terre, et retombons tousiours en même faute, sans le sentir, ou nous en donner beaucoup. Nous faisons bien les sots à nos despens : les difficultez ne s’apperçoivent en chasque chose que par ceux qui s’y cognoissent ; car encore faut-il quelque degré d’intelligence à pouvoir remarquer son ignorance : il faut pousser à une porte pour sçavoir qu’elle nous est close. Ainsi de ce que chascun se voit si resolu et satisfaict, et que chascun pense estre suffisamment entendu, signifie que chascun n’y entend rien du tout : car si nous nous cognoissions bien, nous pourvoyrions bien mieux à nos affaires ; nous aurions honte de nous