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être pour cela ridicule. Un immense cadogan descendait plus bas que ses épaules, et de grosses boucles flottaient sur sa gorge. Le petit Anglais et le Bernois étaient sans cesse autour d’elle, plutôt encore dans l’étonnement que dans l’admiration ; du moins l’Anglais, que j’observais beaucoup. Tant de gens s’empressèrent autour de Cécile, que, si elle fut affectée de cette désertion, elle n’eut pas le temps de le laisser voir. Seulement, quand Milord voulut faire sa partie de dames, elle lui dit qu’ayant un peu mal à la tête, elle aimait mieux ne pas jouer. Tout le soir elle resta assise auprès de moi, et fit des découpures pour l’enfant de la maison. Je ne sais si le petit lord sentit ce qui se passait en elle ; mais, ne sachant que dire à sa Parisienne, il s’en alla. Comme nous sortions de la salle, il se trouva à la porte parmi les domestiques. Je ne sais si Cécile aura un moment aussi agréable dans tout le reste de sa vie. Deux jours après, il passait la soirée chez moi avec son parent, le Bernois et deux ou trois jeunes parentes de Cécile ; on se mit à parler de la dame française. Les deux jeunes gens louèrent sans miséricorde ses yeux, sa taille, sa démarche, son habillement. Cécile ne disait rien ; je disais peu de chose. Enfin ils louèrent sa forêt de cheveux. — Ils sont faux, dit Cécile. — Ha ! ha ! Mademoiselle Cécile, dit le Bernois, les jeunes dames sont toujours jalouses les unes des autres ! Avouez la dette ! N’est-il pas vrai que c’est par envie ? — Il me semblait que milord souriait. Je me fâchai tout de bon. Ma fille ne sait ce que c’est que l’envie, leur dis-je. Elle loua hier, comme vous, les cheveux de l’étrangère chez une femme de ma connaissance que l’on était occupé à coiffer. Son coiffeur, qui sortait de chez la dame parisienne, nous dit que ce gros cadogan et ces grosses boucles étaient fausses. Si ma fille avait quelques années de plus, elle se serait tue ; à son âge, et quand on a sur sa tête une véritable forêt, il est assez naturel de parler. Ne nous sou-