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DE LAUSANNE.

tage de la noblesse. Supposé qu’ici l’homme ne l’acquît pas en se mariant, les enfants le prendraient de leur mère. Voilà bien assez de politique ou de rêverie.

Outre les deux hommes dont je vous ai parlé, Cécile a encore un amant dans la classe bourgeoise ; mais il la ferait plutôt tomber avec lui qu’il ne s’élèverait avec elle. Il se bat, s’enivre et voit des filles comme les nobles allemands, et quelques jeunes seigneurs anglais qu’il fréquente : il est d’ailleurs bien fait et assez aimable ; mais ses mœurs m’effraieraient. Son oisiveté ennuie Cécile ; et quoiqu’il ait du bien, à force d’imiter ceux qui en ont plus que lui, il pourra dans peu se trouver ruiné. Il y en a bien encore un autre. C’est un jeune homme sage, doux, aimable, qui a des talents et qui s’est voué au commerce. Ailleurs il pourrait y faire quelque chose, mais ici cela ne se peut pas. Si ma fille avait de la prédilection pour lui, et que ses oncles n’y missent pas obstacle, je consentirais à aller vivre avec eux à Genève, à Lyon, à Paris, partout où ils voudraient ; mais le jeune homme n’aime peut-être pas assez Cécile pour quitter son sol natal, le plus agréable en effet qui existe, la vue de notre beau lac et de sa riante rive. Vous voyez, ma chère amie, que, dans ces quatre amants, il n’y a pas un mari. Ce n’en est pas un non plus que je pusse proposer à Cécile, qu’un certain cousin fort noble, fort borné, qui habite un triste château où l’on ne lit, de père en fils, que la Bible et la gazette. Et le jeune lord ? direz-vous. Que j’aurais de choses à vous répondre ! Je les garde pour une autre lettre. Ma fille me presse d’aller faire un tour de promenade avec elle. Adieu.