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PREMIÈRE LETTRE.


Le 30 novembre 1784.


Combien vous avez tort de vous plaindre ! Un gendre d’un mérite médiocre, mais que votre fille a épousé sans répugnance ; un établissement que vous-même regardez comme avantageux, mais sur lequel vous avez été à peine consultée ! Qu’est-ce que cela fait ? que vous importe ? Votre mari, ses parents et des convenances de fortune ont tout fait. Tant mieux. Si votre fille est heureuse, en serez-vous moins sensible à son bonheur ? si elle est malheureuse, ne sera-ce pas un chagrin de moins que de n’avoir pas fait son sort ? Que vous êtes romanesque ! Votre gendre est médiocre ; mais votre fille est-elle d’un caractère ou d’un esprit si distingué ? On la sépare de vous ; aviez-vous tant de plaisir à l’avoir auprès de vous ? Elle vivra à Paris ; est-elle fâchée d’y vivre ? Malgré vos déclamations sur les dangers, sur les séductions, les illusions, le prestige, le délire, etc., seriez-vous fâchée d’y vivre vous-même ? Vous êtes encore belle, vous serez toujours aimable ; je suis bien trompée, ou vous iriez de grand cœur vous charger des chaînes de la cour, si elles vous étaient offertes. Je crois qu’elle vous seront offertes. À l’occasion de ce mariage on parlera de vous, et l’on sentira ce qu’il y aurait à gagner pour la princesse qui attacherait à son service une femme de votre mérite, sage sans pruderie, également sincère et polie, modeste quoique remplie de talents. Mais voyons si cela est bien vrai. J’ai toujours trouvé que cette sorte de mérite n’existe que