Page:Charrière - Caliste ou lettres écrites de Lausanne, 1845.djvu/50

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
44
NOTICE.

tructible ; un théologien se récrie ù cette explication naturelle, et veut recourir à l’intervention divine ; un amateur, qui a lu Voltaire et Montaigne, doute qu’un sauvage éprouve rien de semblable à ce que le kantiste proclame.

— Qu’en savez-vous ? dit l’abbé — Allez écrire, lui dit la baronne. — L’abbé rapporte bientôt son conte des Trois Femmes.

Emilie est une émigrée de seize ans ; elle a perdu ses parents, ses derniers moyens d’existence, et l’espoir d’en retrouver aucun. Joséphine, sa femme de chambre, lui a tenu lieu de tout. Attentive, respectueuse, zélée, elle est à la fois la mère et la servante d’Émilie, elle la sert et la nourrit, elle s’est dévouée à elle, elle n’aime qu’elle. C’est au milieu des sentiments d’une affection exaltée par la reconnaissance qu’Émilie découvre les désordres de Joséphine. Cette petite Joséphine, dans sa naïveté, sa générosité et son vice, ne laisse pas d’être un embarrassant philosophe. Tout ce qu’elle dit dans le premier entrain d’aveux à Émilie, ce que celle-ci apprend sur son oncle le grand-vicaire, sur son oncle le marquis, sur sa tante la marquise, fait ouvrir de grands yeux à l’orpheline, et nous exprime le xviiie siècle dans sa facile nudité. D’une autre part, une jeune veuve, madame Constance de Vaucourt, s’est attachée à Émilie. Vive, aimable, sensible, irréprochable dans sa conduite, madame de Vaucourt ne cherche de jouissances que dans l’emploi généreux et bienfaisant d’une grande fortune ; mais cette fortune, que lui ont laissée ses parents, est un peu mal acquise, elle le sait ; et, comme elle n’a aucun moyen de retrouver ceux aux dépens de qui ils l’ont faite, elle se contente de la bien dépenser. Entre Constance et Joséphine, Émilie, bonne, droite et candide, est à chaque instant obligée, pour rester fidèle à l’esprit même de sa vertu, d’en relâcher, d’en rompre quelque forme trop rigoureuse. Ainsi, quand d’abord, pour ne pas se compro-