Page:Charrière - Caliste ou lettres écrites de Lausanne, 1845.djvu/36

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
30
NOTICE.

cela. Ici une scène, à mon sens, admirable, profondément touchante et réelle et chaste. mais de ces scènes pour lesquelles ceux qui les ont goûtées avec pleurs craignent le grand jour et l’ordinaire indifférence[1]. Mademoiselle de La Prise a donc à parler au long à Meyer, et elle le doit faire sans attirer l’attention : pour cela, elle ne trouve rien de mieux dans sa droiture que de prier le comte Max, le loyal ami de Meyer, de s’asseoir aussi près d’elle, et là, sur un banc, entre ces deux jeunes gens qui l’éooutent (scène chaste, précisément parce qu’ils sont deux), comme si elle n’avait causé que bal et plaisirs, parfois interrompue par quelque propos de femmes qui passent et repassent, y répondant avec sourire, puis reprenant avec les deux amis le fil plus serré de son récit, elle dit tout, et la faute, et que cette fille est grosse, et qu’elle ne sait que devenir, et le devoir et la pitié. Meyer, bouleversé, n’a que deux pensées et que deux mots : satisfaire à tout, et convaincre mademoiselle de La Prise qu’il n’y a pas eu séduction, et que tout ceci est antérieur à elle. La simplicité des paroles égale la situation. Meyer a demandé un moment pour se remettre du coup ; il sort de la salle, agitant en lui la douleur, la honte, et même, faut-il le dire ? l’ivresse confuse d’être père. Après un quart d’heure, il est rentré ; mademoiselle de La Prise et le comte Max ont repris avec lui leur place sur le banc :

« Eh bien ! monsieur Meyer, que voulez-vous donc que je dise à la fille ? — Mademoiselle, lui ai-je répondu, promettez-lui, ou donnez-lui, faites-lui donner, veux-je dire, par quelque ancien domestique de con-

  1. Les Lettres Neuchateloises ont été réimprimées en 1833 à Neuchâtel chez Petitpierre et Prince, in-18 ; si l’on y prend goût, on peut de ce côté se les procurer. La réimpression pourtant, je dois le dire, n’en est pas toujours parfaitement exacte.