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son mari. — Essayez, je vous en conjure encore, d’obtenir que ces malheureux prisonniers se voient entre eux ; la solitude de l’âme est un si grand supplice dans ce moment où l’on ne peut porter seul le poids de la vie ! — Pour jouir de tous les charmes de la société, j’ai toujours envie de me rapprocher de vous. — Dites-moisi vous n’avez point entendu parler d’une bonne maison de campagne à louer dans votre voisinage. — Dites-moi surtout si vous n’avez rien écrit de nouveau, vous qui en avez encore la force ; vous le devez. Vous voyez à quoi m’a servi un inutile effort ; je me suis attachée davantage à la malheureuse personne que je voulais défendre[1], et sa mort a été pour mon cœur une peine insupportable. — Savez-vous quelques moyens de vivre dans cette époque affreuse ? Prêtez-les-moi pour un peu de temps. — Je reviens à croire que c’est vous voir et vous entendre qui peuvent seuls empêcher de mourir. — Adieu.




IV.


Nion, 31 décembre.

Je n’ai reçu que bien longtemps après sa date un billet de vous qui m’annonçait une perte, madame, une lettre de vous que je n’ai pas reçue… Je reçois tous les jours les plus insignifiantes lettres du monde, tandis que je me vois privée des vôtres que je place immédiatement après celles de la personne du monde que j’aime le mieux, — parce qu’il faut toujours un peu d’illusion dans ses sensations. — Dites-moi s’il y a rien de pareil à cette peur que fait le roi de Prusse à tous ses fidèles sujets. — En présence d’une révolution de France, comment a-t-on ce respect

  1. La reine Marie-Antoinette que madame de Staël avait essayé de défendre par un éloquent écrit.