Page:Charrière - Caliste ou lettres écrites de Lausanne, 1845.djvu/34

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
28
NOTICE.

siennes, son visage collé dessus, ses yeux les mouillant de larmes, et sa bouche les marquant de baisers : nous l’entendions sangloter doucement. C’est un tableau impossible à rendre. M. de La Prise, sans rien dire à sa fille, l’a relevée, et l’a assise sur le tabouret devant lui, de manière qu’elle tournait le dos à la table : il tenait une de ses mains ; de l’autre elle essuyait ses yeux. Personne ne parlait. Au bout de quelques moments, elle est allée vers la porte sans se retourner, et elle est sortie. Je me suis levé pour fermer la porte qu’elle avait laissée ouverte. Tout le monde s’est levé. Le comte Max a pris son chapeau, et moi le mien.

« Au moment que nous nous approchions de madame de La Prise pour la saluer, sa fille est rentrée. Elle avait repris un air serein. Tu devrais prier ces messieurs d’être discrets, lui a dit sa mère. Que pensera-t-on de toi dans le monde, si on apprend ton propos ? — Eh ! ma chêre maman, a dit sa fille, si nous n’en parlons plus, nous pouvons espérer qu’il sera oublié. — Ne vous en flattez pas, mademoiselle, a dit le comte, je crains de ne l’oublier de longtemps.

« Nous sommes sortis. Nous avons marché quelque temps sans parler. A la fin, le comte a dit : Si j’étais plus riche !… Mais c’est presque impossible ; il n’y faut plus penser : je tâcherai de n’y plus penser un seul instant. Mais vous ? … a-t-il repris en me prenant la main. J’ai serré la sienne ; je l’ai embrassé, et nous nous sommes séparés. »


Si Diderot avait connu ces pages, que n’aurait-il pas dit ! Il eût couru, le livre en main, chez Sedaine. Le bien, c’est qu’il n’y a pas eu ici ombre de système, rien qui sente l’auteur ; rien même qui sente le peintre ; ce délicieux Terbury est venu sans qu’il y ait eu de pinceau.

Nous touchons au point délicat, pour lequel il a fallu