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benjamin constant

Nous retrouvons là Benjamin Constant revenu à son vrai point, il est girondin avec Roland, ou plutôt encore avec Vergniaud, avec Louvet, avec les moins puritains du parti ; il abhorre Robespierre ; mais, même lorsqu’il voit celui-ci menaçant, il ne rend pas les armes, il ne dit pas que tout est perdu : « Je vois beaucoup de mal (4 mai 1792), je vois une distance immense et de nombreux et profonds abîmes entre le bien et l’époque actuelle ; mais il est sûr que nous marchons. Est-ce vers le bien ? je l’ignore ; mais je n’en désespérerai que lorsque nous nous serons arrêtés au mal. » Remarquez ce nous par lequel il s’associe tout-à-fait à la France ; il me semble dans tout ceci que le politique, le tribun se dégage et commence à poindre. Il nous révèle beaucoup trop pourtant le secret du rôle politique dans le passage suivant. Il s’agit de je ne sais quel travail dont il avait raconté le projet à madame de Charrière :


Ce 7 juin (1792).

« … Je vous ai déjà marqué que l’insertion ne peut avoir lieu, 1° parce que l’ouvrage n’est pas fait ; 2° parce qu’il ne sera pas de nature à être inséré. Du reste, nous ne sommes pas du même avis sur les livres, et nous différons de principe. J’aimerais l’insertion pour la raison même pour laquelle vous ne l’aimez pas. Croyez-moi, nos doutes, notre vacillation, toute cette mobilité, qui vient, je le crois, de ce que nous avons plus d’esprit que les autres, sont de grands obstacles au bonheur dans les relations et à la considération, qui, si elle n’est pas toujours flatteuse, est toujours utile et très souvent nécessaire. Qu’est-ce que la considération ? Le suffrage d’un nombre d’individus qui, chacun pris à part, ne nous paraissent pas valoir la peine de rien faire pour leur plaire, j’en conviens ; mais ces individus sont ceux avec qui nous avons à vivre. Il faut