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et madame de charrière.

esprit nous étale tour à tour sur ce point toutes ses vicissitudes : « Je crois que je me livrerai à la botanique, écrit-il le 17 septembre 1790, ou à quelque science de faits. La morale et la politique sont trop vagues, et les hommes trop plats et inconséquents. Tout en prenant cette résolution, je suis à faire un ouvrage politique qui doit être achevé en un mois pour de l’argent. Je me suis mis en tête qu’avec les restes de mon esprit je pourrais payer mes dettes, et j’ai fait avec un libraire l’accord de lui faire un petit ouvrage d’environ 100 pages (anonyme, comme vous le sentez bien) sur la révolution du Brabant… » Ces projets, ces ébauches d’ouvrages démocratiques se succèdent rapidement sous sa plume et occupent ses loisirs de chambellan. Nous le retrouvons occupé plus sincèrement à réfuter Burke dans la lettre suivante, qui est bien assez jolie pour être citée en entier ; elle est de sa meilleure et de sa plus voltairienne manière. Il a repris, en l’écrivant, ses high spirits, comme il dit.


Ce 10 décembre 1790.

« Je relis actuellement les lettres de Voltaire : savez-vous que ce Voltaire que vous haïssez était un bon homme au fond, prêtant, donnant, obligeant, faisant du bien sans cet amour-propre que vous lui reprochez tant ? Mais ce n’est pas de quoi il s’agit.Il s’agit qu’en relisant sa correspondance, j’ai pensé que j’étais une grande bête et une très grande bête de me priver d’un grand plaisir parce que j’ai de grands chagrins, et de ne plus vous écrire parce que des coquins me tourmentent. C’est-à-dire que, parce qu’on me fait beaucoup de mal, je veux m’en faire encore plus, et que, parce que j’ai beaucoup d’afflictions, je veux renoncer à ce qui m’en consolerait. C’est être trop dupe. Je mène ici une plate vie, et, ce qui est pis que plat, je suis toujours un pied en l’air, ne sachant s’il ne me faudra pas retourner à La