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  Le 20 de mars et le dix-neuvième jour de mon ennuyeuse résidence dans cet ennuyeux pays. A dix heures du matin.

« Je travaille à mes petits Grecs de toutes mes forces, et je les trouve, quelque médiocres qu’ils soient, beaucoup meilleure compagnie que les gros Allemands qui m’environnent. Mais ce ne sont plus les petits Grecs que vous connaissez. C’est un tout autre plan, un autre point de vue, d’autres objets à considérer. Ce que vous avez lu n’était qu’une traduction faite à la hâte pour plaire à mon père, et que je n’avais jamais revue, lorsqu’il voulut à toute force la faire imprimer[1]. Ce que je fais sera une histoire de la civilisation graduelle des Grecs par les colonies égyptiennes, etc., depuis les premières traditions

  1. Benjamin Constant, nous apprend M. Gaullieur, avait entrepris une traduction de l' Histoire de la Grèce, par Gillies (History of the ancient Greece, its Colonies and Conquets) : mais, prévenu par un autre écrivain, comme pour l' Histoire de la Corse, il renonça à son projet. Cependant, pour ne pas perdre entièrement le fruit de ses veilles, comme on dit, il se décida à publier un spécimen de sa traduction (à Londres, et à Paris, chez Lejay, 1787) : « Il existe, dit-il dans sa préface, un autre ouvrage en anglais dont le sujet n’est pas moins intéressant et dont les vues sont plus vastes et plus importantes, qui sera désormais l’objet de tous mes efforts ; je veux parler de l’Histoire de la Décadence et de la Chute de l’Empire romain, par M. Gibbon. Mais, comme il ne faut pas défigurer les chefs-d’œuvre des grands maîtres, je veux, avant de me livrer à ce travail, consulter le public et savoir si mon style et mes connaissances dans les deux langues pourront y suffire. C’est dans ce dessein, et non pour être comparé au traducteur de » M. Gillies (Carra), que je publie cet essai. » Cet opuscule. intitulé Essai sur les Mœurs des temps héroïques de la Grèce, est bien certainement la première publication imprimée de Benjamin Constant. Tous les bibliographes jusqu’ici l’ont ignoré. Barbier attribue fautivement l' Essai à Cantwell. Quant à la traduction de Gibbon, Benjamin Constant ne sut pas non plus arriver à temps : il fut devancé par Leclerc de Sept-Chênes et son royal collaborateur Louis XVI : leur premier volume parut en 1788. Gibbon, qui vivait à Lausanne, avait fort encouragé Benjamin Constant à traduire son livre, et il regretta beaucoup ce peu de fixité, qui fit manquer le jeune auteur à une sorte d’engagement envers le public.