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Madame de Charrière a lieu de croire, en effet, qu’il l’aime ; si sceptique qu’elle soit de son côté, il doit lui être difficile de ne pas se laisser ébranler un moment aux témoignages multipliés qu’il lui envoie de ses regrets, de ses souvenirs. À peine arrivé à Brunswick, il lui adresse l’épître suivante, que nous donnons dans toute sa longueur, et qui ressemble à un journal, ou plutôt à un heural[1], comme ils disaient ; c’est une image intéressante et fidèle, et très curieuse pour la rareté, de ce qu’était l’âme de Benjamin Constant à ses meilleurs moments. Nous y trouvons aussi, sauf deux ou trois points, une finesse de ton bien agréable et bien légère.


Brunswick, le 3 mars 1788.

« Me voici enfin à ma destination. Tout-à-l’heure je vous ferai part de mes impressions ; mais pour l’instant je suis pressé de vous donner des nouvelles de vos compatriotes que j’extrais de la Gazette de Brunswick, le premier objet qui me tombe sous la main. Est-ce une prédestination ?


Extrait de la Gazette de Brunswick[2].

« Les États de Hollande ont cédé aux magnanimes représentations du stathouder et accordé une amnistie générale. On n’a excepté que : 1o tous les régents, membres et administrateurs de la justice qui ont séduit par des

    pas le prix. C’est un de ses points de contact avec madame de Staël d’avoir traité le même sujet : mais cette concurrence littéraire entre ces deux dames fut précisément une des causes de leur brouillerie. (Note de M. Gaullieur, comme le sont au reste un grand nombre des précédentes et des suivantes. Je n’avertis plus.)

  1. Heural, journal heure par heure.
  2. Dans ce qui suit, on devra aussi reconnaître la prédisposition opposante de Benjamin Constant, ses opinions libérales préexistantes, ses instincts de justice politique, le tout exprimé, il est vrai, avec une parfaite irrévérence et avec cette pointe finale d’impiété qui caractérise en lui sa période voltairienne.