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drait que vous vinssiez avec lui. Vous trouveriez, dit-il, une famille toute disposée à vous aimer, à vous admirer, et, ce qui vaut mieux, le plus beau pays du monde. Mon manoir de Beausoleil est bien petit ; mais, si vous venez avec M. de Saïgas, je vous demande la préférence sur mon oncle et sur sa résidence plus confortable ; je le lui ai déjà déclaré. Ce n’est qu’une petite course, et, si vous voulez m’admettre pour votre chevalier errant, nous retournerons ensemble à Colombier. » — Madame de Charrière vint en effet, et emmena au retour le jeune Constant, ou du moins celui-ci l’alla rejoindre ; ces deux mois de séjour, de maladie, de convalescence, auprès d’une personne supérieure et affectueuse, semblèrent modifier sa nature et lui communiquer quelque chose de plus calme, de plus heureux. Par malheur, l’aridité des doctrines gâtait vite ce que la pratique entre eux avait de meilleur, et on achevait, en causant, de tout mettre en poussière dans le même temps qu’on réussissait à se faire aimer. Madame de Charrière écrivait alors ses lettres politiques sur la révolution tentée en Hollande par le parti patriote, et Benjamin Constant, par émulation, se mit à tracer la première ébauche de ce fameux livre sur les religions qu’il fut près de quarante ans à remanier, à refaire, à transformer de fond en comble. L’esprit dans lequel il le conçut alors n’était autre que celui du xviiie siècle pur, c’est-à-dire un fonds d’incrédulité et d’athéisme que l’ambitieux auteur se réservait sans doute de raffiner. On lit dans une lettre de madame de Charrière, d’une date postérieure, quelques détails singuliers sur cette composition primitive : « Après mon retour de Paris, dit-elle, fâchée contre la princesse d’Orange, j’écrivis la première feuille des Observations et Conjectures politiques, puis vinrent les autres ; j’exigeais de l’imprimeur qu’il les envoyât, l’une après l’autre, à mesure qu’il les imprimait, à M. de Saïgas, à M. Van