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heureux, quand on a un peu vu le monde, que du repos.

« Je vous souhaite tous ces bonheurs et mets le mien dans votre indulgence. Demain je serai à Methwold, un tout petit village entre ceci et Lynn, et au-delà de Newmark et, dont Chesterford, d’où je vous écris ce soir, n’est qu’à cinq lieues. — Adieu, madame, ajoutez à ma lettre tous mes sentiments pour vous, et vous la rendrez bien longue.

Constant.


Westmoreland. — Patterdale, le 27 août 1787.

« Il y a environ cent mille ans, madame, que je n’ai reçu de vos lettres, et à peu près cinquante mille que je ne vous ai écrit. J’ai tant couru à pied, à cheval et de toutes les manières, que je n’ai pu que penser à vous. Je me trouve très mal de ce régime, et je veux me remettre à une nourriture moins creuse. J’espère trouver de vos lettres à Londres, où je serai le 6 ou 7 du mois prochain, et je ne désespère pas de vous voir à Colombier[1] dans environ six semaines ; cent lieues de plus ou de moins ne sont rien pour moi. Je me porte beaucoup mieux que je ne me suis jamais porté : j’ai une espèce de cheval qui me porte aussi très bien, quoiqu’il soit vieux et usé. Je fais quarante à cinquante milles par jour. Je me couche de bonne heure, je me lève de bonne heure, et je n’ai rien à regretter que le plaisir de me plaindre et la dignité de la langueur[2].

« Vous avez tort de douter de l’existence de Patterdale.

  1. Près de Neuchâtel ; madame de Charrière y passait la plus grande partie de l’année.
  2. Un des premiers désirs de Benjamin Constant, à son adolescence, fut de voyager seul, à pied, vivant au jour le jour, comme Jean-Jacques Rousseau ; mais il y avait entre l’illustre Genevois et le gentilhomme vaudois cette différence, que celui-ci trouvait à peu près partout, grâce à son nom et au crédit de sa famille, des