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héritage, de tous les papiers de madame de Charrière. En même temps qu’il sent le prix de tous ces trésors, résultats accumulés d’un commerce épistolaire qui a duré un demi-siècle, M. Gaullieur ne comprend pas moins les devoirs rigoureux de discrétion que cette possession délicate impose. En préparant l’intéressant travail dont il nous permet de donner un avant-goût aujourd’hui, il a dû choisir et se borner : « Il est, dit-il, dans les papiers dont nous sommes dépositaire, des choses qui ne verront jamais le jour ; il existe tel secret que nous entendons respecter. Il est d’autres pièces au contraire qui sont acquises à l’histoire, à la langue française, comme aussi à la philosophie du cœur humain. Si la postérité n’a que faire des faiblesses de quelques grands noms, elle a droit de revendiquer les documents qui la conduiront sur la trace de certaines carrières étonnantes, qui lui dévoileront les vrais éléments dont s’est formé à la longue tel caractère historique controversé. »

Au nombre de ces pièces que la curiosité publique est en droit de réclamer, on peut placer sans inconvénient (et sauf quelques endroits sujets à suppression) la correspondance de Benjamin Constant avec madame de Charrière. Elle comprend un espace de sept années, 1787-1795 ; Benjamin a vingt ans au début, il est dans sa période de Werther et d’Adolphe ; s’il est vrai qu’il n’en sortit jamais complètement, on accordera qu’à vingt ans il y était un peu plus naturellement que dans la suite. Pour qui veut l’étudier sous cet aspect, l’occasion est belle, elle est transparente ; on a là l’épreuve avant la lettre, pour ainsi dire.

Tout d’abord on voit le jeune Benjamin fuyant la maison paternelle, ou plutôt s’échappant de Paris, où il passait l’été de 1787, pour courir seul, à pied, à cheval, n’importe comment, les comtés de l’Angleterre. Il est parti, pourquoi ? il ne s’en rend pas lui-même très bien compte,