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tenir compte de ses vertus personnelles. Admis a la voir de plus près, le malade qu’elle a guéri pressent avec une singulière naïNeté d égoïsme le bonheur d’être aimé d’une telle femme, et, sans aucun projet indigne d’elle, il en laisse échapper le désir. Ce premier aveu est accueilli par Caliste avec une franchise pleine à la fois d’élévation passionnée et de courage dévoué :


« Je vous ai aimé dès le premier moment que je vous ai u : avant vous, j’avais connu la reconnaissance et non point l’amour ; je le connais à présent qu’il est trop tard. Quelle situation que la mienne ! moins je mérite d’être respectée, plus j’ai besoin de l’être… » (Voir précédemment, Lettre XXI, page l42.)


»… Le lendemain, il retourne auprès de Caliste, dont l’amour enivrant et pur, l’esprit charmant et le caractère dévoué prennent sur lui un ascendant auquel il ne songe plus à se soustraire. Ils s’aiment avec une honnêteté et un respect réciproque qui rend plus touchante encore l’intimité de leurs âmes et de leurs habitudes. Une passion vraie éclate dans leurs moindres impressions. Le jeune lord ne songe point à réhabiliter son amie en l’épousant ; elle-même ne pense à rien qui la regarde : elle est heureuse, elle craint par pressentiment et par expérience de la vie toute tentative pour changer leur situation. Mais lui, il a besoin d’elle, il faut qu’elle devienne sa femme, que rien ne puisse jamais la lui arracher, que leurs sentiments soient consacrés et deviennent complets. Il essaie donc d’obtenir le consentement de son père. Celui-ci le refuse, en alléguant les raisons qu’on peut aisément imaginer contre une personne de la classe de Caliste, en faveur de qui il fait pourtant une exception honorable et inutile. La justesse et la modération des lettres qu’il écrit alors à son fils apportent dans les dispositions et dans la conduite de celui-ci un tempérament dont Caliste prévoit l’effet, sans user davantage, même pour défendre sa vie et son bonheur, du pouvoir qu’elle conserve : elle l’emploie tout entier à remplir de douces et innocentes félicités les jours de celui qu’elle aime Affectueux et habile dans son inertie apparente, le père n’oppose au courant invincible de cet amour réciproque que des obstacles d’un effet insensible et presque sur. Adolphe a bien moins de peine à résister aux volontés impérieuses et aux attaques directes de l’omnipotence paternelle. Peu à peu le faible amant de Caliste se laisse amener à une extrémité où il faut prendre une résolution pour elle ou contre elle. Il ne se décide pas et la laisse désespérer de son affection. Elle épouse, dans cet abandon, un honnête homme qui l’aime, et qui la rendrait heureuse, si elle pouvait l’être par autre chose que par son fatal amour. De son côté, lord**** se marie. Une jeune et belle veuve, lady Betty, sa parente, que son père lui destinait en secret, se trouve là pour entraîner son irrésolution : convenable et sotte union, qui ne lui donne ni repos de cœur, ni bonheur domestique. Solitaire, et devenu indifférent à sa femme, il