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Après une première partie consacrée à l’analyse des deux romans de madame Sand et de l’abbé Prévost, l’auteur de l’article en vient à celui qui nous touche, et nous le laissons parler :


« Dans Caliste, la scène se passe en Angleterre, vers la fin du xviiie siècle ; mais, hormis quelques nuances de mœurs, le tableau n’en est pas moins que les précédents général et humain. iMadame de Staël, en créant plus tard dans Corinne son héros anglais dOswald, semble avoir compris, comme madame de Charriére, la réalité plus parfaite quemprunterait un tel personnage d’une telle patrie, où la convenance domine arbitrairement tout le reste. Caliste, dont Corinne est à quelques égards la sœur brillante, exceptionnelle, idéale ; dont Adolphe est une autre image infidèle, parce que, chez Adolphe, il n’y a guère de véritable et de saisissant amour ; Caliste se rapproche davantage encore, par le fond et la vie, de Leoni et de Manon, malgré de très apparentes différences. C’est un même petit récit fait par l’un des amants près de la catastrophe finale, et dans lequel, par un art infini, on sent si bien se dérouler les sentiments, se dessiner les caractères, qu’il faut la réllexion et un retour sur soi-même pour juger au lieu de comprendre. Cette adresse admirable est d’autant plus frappante, que le narrateur, un lord anglais, est celui des deux amants qui a causé le malheur de l’autre, et qu’il sait pourtant exciter notre compassion : il émeut, il attache, en dépit de ses torts de nature ou d’irrésolution, au point de sauver l’impression fâcheuse de sa conduite sur l’intérêt de l’histoire. Quand un des personnages est décidément haïssable, sans qu’on puisse l’oublier, le spectacle de la passion qu’il inspire devient pénible. L’amant de Caliste se fait absoudre avant la réflexion qui le condamne, parce qu’il aime sincèrement à sa manière, parce qu’il ne songe pas à se faire de cet amour une excuse, parce qu’il ne pense à rien, en un mot, qu’à montrer son cœur tel qu’il est et les choses comme elles ont été.

» Il a rencontré une jeune femme, seule, sur un banc, dans une promenade, et cette femme a eu compassion de la douleur morne et maladive où il était plongé. Il venait de perdre, avec un frère jumeau, la moitié de sa vie et le centre de ses pensées. Peu à peu le charme insinuant, noble et doux, de cette inconnue le pénètre et le console. Il renaît au goût de l’existence avec un sentiment nouveau dont il s’aperçoit très tard. 11 n’ignore point cependant la triste position de Caliste. Jeune fille, au moment où elle débutait avec éclat au théâtre, elle fut achetée par un lord qui est mort ruiné, laissant à ses parents le soin d’assurer le sort de sa compagne. Elle avait si bien mérité leur estime, qu’en effet elle froua près d’eux l’appui, la protection, la société même d’une famille. Mais le monde, toutefois, la connaissait seulement par la place qu’elle avait occupée, et ne pou-