Page:Charrière - Caliste ou lettres écrites de Lausanne, 1845.djvu/202

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et elles n’ont point d’autre récréation. » Tous ces détails ne devaient pas, vous l’avouerez, madame, me préparer à l’affreuse lettre que je reçus il y a huit jours. Renvoyez-la-moi, et qu’elle ne me quitte plus jusqu’à ma propre mort.

« C’est bien à présent, mon ami, que je puis vous dire c’est fait. Oui, c’est fait pour toujours. Il faut vous dire un éternel adieu. Je ne vous dirai pas par quels symptômes je suis avertie d’une fin prochaine ; ce serait me fatiguer à pure perte, mais il est bien sûr que je ne vous trompe pas, et que je ne me trompe pas moi-même. Votre père m’est venu voir hier : je fus extrêmement touchée de cette bonté. Il me dit : si au printemps, madame, si au printemps… (il ne pouvait se résoudre à ajouter) vous vivez encore, je vous mènerai moi-même en Provence, à Nice ou en Italie. Mon fils est à présent en Suisse, je lui écrirai de venir au-devant de nous. — Il est trop tard, monsieur, lui dis-je, mais je n’en suis pas moins touchée de votre bonté. — Il n’a rien ajouté, mais c’était par ménagement, car il sentait bien des choses qu’il aurait eu du penchant à dire. Je lui ai demandé des nouvelles de votre fille, il m’a dit qu’elle se portait bien, et qu’il me l’aurait déjà envoyée si elle vous ressemblait un peu ; mais, quoiqu’elle n’ait que dix-huit mois, on voit déjà qu’elle ressemblera à sa mère. Je l’ai prié de m’envoyer sir Harry, et lui ai dit que par ses mains je lui ferais un présent que je n’osais lui faire moi-même. Il m’a dit qu’il recevrait avec plaisir de ma main tout ce que je voudrais lui donner ; là-dessus je lui ai donné votre portrait, que vous m’avez envoyé d’Italie ; je donnerai à sir Harry la copie que j’en ai faite, mais je garderai celui que vous m’avez donné le premier, et je dirai qu’on vous le remette après ma mort.

Je ne vous ai pas rendu heureux, et je vous laisse