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et que l’on commençait à lui trouver meilleur visage. Mais, au milieu de sa cure, le général tomba malade de la longue maladie dont il est mort. Il fallut retourner à Londres, et les peines, les veilles, le chagrin portèrent à Caliste une trop forte et dernière atteinte. Son constant ami, son constant protecteur et bienfaiteur lui donna en mourant le capital de six cents pièces de rentes au trois pour cent, à prendre sur la partie de son bien la moins casuelle, et d’après l’estimation qui en serait faite par des gens de loi.

D’abord, après sa mort, elle alla habiter sa maison de Whitehall qu’elle s’était déjà amusée à réparer l’hiver précédent. Elle continua à y recevoir les amis de lord L*** et de son oncle, et recommença à se donner chaque semaine le plaisir d’entendre les meilleurs musiciens de Londres, et c’est presque dire de l’Europe. Je sus tout cela par elle-même. Elle m’écrivit aussi qu’elle avait retiré chez elle une chanteuse de la comédie qui s’était dégoûtée du théâtre, et lui avait donné de quoi épouser un musicien très honnête homme. « Je tire parti de l’un et de l’autre, disait-elle, pour faire apprendre un peu de musique à de petites orphelines à qui j’enseigne moi-même à travailler, et qui apprennent chez moi une profession. Quand on m’a dit que je les préparais au métier de courtisane, j’ai fait remarquer que je les prenais très pauvres et très jolies, ce qui, joint ensemble et dans une ville comme Londres, mène à une perte presque sûre et entière, sans que de savoir un peu chanter ajoute rien au péril, et j’ai même osé dire qu’après tout il valait encore mieux commencer et finir comme moi, qu’arpenter les rues et périr dans un hôpital. Elles chantent les chœurs d’Esther et d’Athalie que j’ai fait traduire, et pour lesquels on a fait la plus belle musique ; on travaille à me rendre le même service pour les Psaumes cent trois et cent quatre. Cela m’amuse,