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L*** m’avait fait promettre, quand je lui dis adieu, de venir le voir toutes les fois qu’il le demanderait. Je fus parfaitement bien reçue dans le pays que j’allais habiter. Domestiques, vassaux, amis, voisins, même les plus fiers, ou ceux qui auraient eu le plus de droit de l’être, s’empressèrent à me faire le meilleur accueil, et il ne tint qu’à moi de croire qu’on ne me connaissait que par des bruits avantageux. Pour la première fois je mis en doute si votre père ne s’était pas trompé, et s’il était bien sûr que je portasse avec moi le déshonneur. Moi, de mon côté, je ne négligeai rien de ce qui pouvait donner du plaisir ou compenser de la peine. Mon ancienne habitude d’arranger pour les autres mes actions, mes paroles, ma voix, mes gestes, jusqu’à ma physionomie, me revint, et me servit si bien que j’ose assurer qu’en quatre mois M. M*** n’eut pas un moment qui fût désagréable. Je ne prononçais pas votre nom ; les habits que je portais, la musique que je jouais, ne furent plus les mêmes qu’à Bath. J’étais deux personnes, dont l’une n’était occupée qu’à faire taire l’autre et à la cacher. L’amour, car mon mari avait pour moi une véritable passion, secondant mes efforts par ses illusions, il parut croire que personne ne m’avait été aussi cher que lui. Il méritait sans doute tout ce que je faisais et tout ce que j’aurais pu faire pour son bonheur pendant une longue vie, et son bonheur n’a duré que quatre mois. Nous étions à table chez un de nos voisins. Un homme arrivé de Londres parla d’un mariage célébré déjà depuis longtemps, mais devenu public depuis quelques jours. Il ne se rappela pas d’abord votre nom, il vous nomma enfin. Je ne dis rien, mais je tombai évanouie, et je fus deux heures sans aucune connaissance. Tous les accidents les plus effrayants se succédèrent pendant quelques jours, et finirent par une fausse couche dont les suites me mirent vingt fois au bord du tombeau. Je ne vis presque point M. M***. Une femme qui écouta mon histoire, et