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un seul refus, un seul instant d’humeur ou de mécontentement, ou même de négligence. Quelle femme que celle qu’un homme, son amant, son bienfaiteur, son maître pour ainsi dire, peut traiter pendant huit ans comme une divinité ! Je lui demandai un jour si jamais elle n’avait eu la pensée de le quitter. — Oui, dit-elle, je l’ai eue une fois, mais je fus si frappée de l’ingratitude d’un pareil dessein, que je ne voulus pas y voir de la sagesse : je me crus la dupe d’un fantôme qui s’appelait la vertu, et qui était le vice, et je le repoussai avec horreur.

Pendant trois jours que tarda la lettre de mon père, j’eus la permission de laisser là mes livres et le public. Je venais chez elle le matin ; le chagrin nous avait rendus plus familiers sans nous rendre moins sages. Le quatrième jour, Caliste reçut cette réponse. Au lieu de la transcrire ou de la traduire, madame, je vous l’envoie, vous la traduirez, si vous voulez que votre parent la lise un jour : je n’aurais pas la force de la traduire.


Madame,

« Je suis fâché d’être forcé de dire des choses désagréables à une personne de votre sexe, et j’ajouterai de votre mérite ; car, sans prendre des informations sur votre compte, ce qui serait inutile, ne pouvant être déterminé par les choses que j’apprendrais, j’ai entendu dire beaucoup de bien de vous. Encore une fois, je suis fâché d’être obligé de vous dire des choses désagréables ; mais laisser votre lettre sans réponse serait encore plus désobligeant que la réfuter. C’est donc ce dernier parti que je me vois forcé de prendre. D’abord, madame, je pourrais vous dire que je n’ai d’autre preuve de votre attachement pour mon fils que ce que vous en dites vous-même, et une liaison qui ne prouve pas toujours un bien grand attachement ; mais, en le supposant aussi grand que vous le dites, et j’avoue que je suis porté à vous en croire, pourquoi ne