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tham, je me mis à traduire Cicéron et surtout Démosthène, brûlant ma traduction et la recommençant mille fois. Caliste m’aidait à trouver les mots et les tournures, quoiqu’elle n’entendît ni le grec ni le latin ; mais, après lui avoir traduit littéralement mon auteur, je lui voyais saisir sa pensée souvent beaucoup mieux que moi ; et, quand je traduisais Pascal ou Bossuet, elle m’était encore d’un plus grand secours.

De peur de négliger les occupations que je m’étais prescrites, nous avions réglé l’emploi de ma journée, et quand, m’oubliant auprès d’elle, j’en avais passé une dont je ne devais pas être content, elle me faisait payer une amende au profit de ses pauvres protégées. J’étais matineux : deux heures de ma matinée étaient consacrées à me promener avec Caliste. Heures trop courtes, promenades délicieuses où tout s’embellissait et s’animait pour deux cœurs à l’unisson, pour deux cœurs à la fois tranquilles et charmés ; car la nature est un tiers que des amants peuvent aimer, et qui partage leur admiration sans les refroidir l’un pour l’autre ! Le reste de mon temps jusqu’au dîner était employé à l’étude. Je dînais chez moi, mais j’allais prendre le café chez elle. Je la trouvais habillée ; je lui montrais ce que j’avais fait, et quand j’en étais un peu content, après l’avoir corrigé avec elle, je le copiais sous sa dictée. Ensuite, je lui lisais les nouveautés qui avaient quelque réputation, ou, quand rien de nouveau n’excitait notre curiosité, je lui lisais Rousseau, Voltaire, Fénelon, Buffon, tout ce que votre langue a de meilleur et de plus agréable. J’allais ensuite à la salle publique, de peur, disait-elle, qu’on ne crût que, pour me garder mieux, elle ne m’eût enterré. Après y avoir passé une heure ou deux, il m’était permis de revenir et de ne la plus quitter. Alors, selon la saison, nous nous promenions ou nous causions, et nous faisions nonchalamment de la musique jusqu’au souper, excepté deux jours