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caresser. Les laquais sont envoyés à la maison pour chercher du lait, du pain, tout ce qu’on pourra trouver. On apporte ; le chien boit et mange, et lèche les mains de sa bienfaitrice. Cécile pleurait de plaisir et de pitié. Attentive, en le ramenant avec elle, à mesurer ses pas sur ceux de l’animal fatigué, à peine regarde-t-elle son amant qui s’éloigne ; toute la soirée fut employée à réchauffer, à consoler cet hôte nouveau, à lui chercher un nom, à faire des conjectures sur ses malheurs, à prévenir le chagrin et la jalousie de Philax. En se couchant, ma fille lui fit un lit de tous les habits qu’elle ôtait, et cet infortuné est devenu le plus heureux chien de la terre. Au lieu de raisonner, au lieu de moraliser, donnez à aimer à quelqu’un qui aime ; si aimer fait son danger, aimer sera sa sauvegarde ; si aimer fait son malheur, aimer sera sa consolation : pour qui sait aimer, c’est la seule occupation, la seule distraction, le seul plaisir de la vie.

Voilà le mercredi passé, nous voilà établies dans notre retraite, et Cécile n’a pas l’air de pouvoir s’y ennuyer ; elle n’a pas eu recours encore à la moitié de ses ressources : les livres, l’ouvrage, les estampes sont restés dans un tiroir.

Le jeudi vient, les fleurs, le chien, le piano, suffisent à sa matinée. L’après-dîner, elle va voir le fermier qui occupe une partie de la maison ; elle caresse ses enfants, cause avec sa femme ; elle voit porter du lait hors de la cuisine, et elle apprend que c’est à un malade qu’on le porte, à un nègre mourant de consomption, que des Anglais, dont il était le domestique, ont laissé dans cette maison. Ils l’ont beaucoup recommandé au fermier et à la fermière, et ont laissé à un banquier de Lausanne l’ordre de leur payer toutes les semaines, tant qu’il sera en vie, une pension plus que suffisante pour les mettre en état de le bien soigner. Cécile vint me trouver avec cette