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une provision d’ouvrage. D’autres choses qui n’étaient pas dues à mes soins ont plus fait que mes soins : Milord, son parent, un malheureux chien, un pauvre nègre… Mais, je veux reprendre toute notre histoire de plus haut.

Après vous avoir écrit, je me disposai à aller dans une maison où je devais trouver tout le beau monde de Lausanne. Je conseillai à Cécile de n’y venir qu’une demi-heure après moi, quand j’aurais offert ma maison et annoncé notre départ ; mais elle me dit qu’elle était intéressée à voir l’impression que je ferais. — Vous la verrez, lui dis-je ; il n’y aura que la première surprise et les premières questions que mon arrangement vous épargnera. — Non maman, dit-elle, laissez-moi voir l’impression tout entière ; que j’en aie tout le plaisir ou tout le chagrin. À vos côtés, appuyée contre votre chaise, touchant votre bras ou seulement votre robe, je me sentirai forte de la plus puissante, comme de la plus aimable protection. Vous savez bien, maman, combien vous m’aimez, mais non pas combien je vous aime, et que vous ayant, vous, je pourrais supporter de tout perdre et renoncer à tout. Allons maman, vous êtes trop poltronne, et vous me croyez bien plus faible que je ne suis. Est-il besoin, mon amie, de vous dire que j’embrassai Cécile, que je pleurai, que je la serrai contre mon sein ; qu’en marchant dans la rue, je m’appuyai sur son bras avec encore plus de plaisir et de tendresse qu’à l’ordinaire ; qu’en entrant dans la salle, j’eus soin avant tout qu’une chaise fût placée pour elle un peu derrière la mienne. Ah ! Sans doute, vous imaginez, vous voyez tout cela ; mais voyez-vous aussi mon pauvre cousin et son ami l’anglais venir à nous d’un air inquiet, cherchant dans nos yeux l’explication de je ne sais quoi qu’ils y voient de nouveau et d’étrange ? Mon cousin surtout me regardait, regardait Cécile, semblait désirer et craindre à la fois que je ne parlasse ; et l’autre, qui voyait