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selle, a-t-elle répondu d’un ton de plaisanterie en montrant ma fille : il n’a parlé qu’à elle ; et, content d’avoir eu ce bonheur, il s’en est allé aussitôt. Les Anglais se sont donc approchés de Cécile : elle a dit, sans se déconcerter, que, son cousin s’étant plaint d’un grand mal de tête, il avait proposé au général d’A… de faire une partie de piquet dans un cabinet éloigné du bruit. Là-dessus, j’ai laissé Cécile sur sa bonne foi, et suis allée trouver mon cousin, à qui j’ai demandé s’il avait aussi mal à la tête que le prétendait Cécile, ou s’il avait trouvé sa situation dans le salon trop embarrassante. — Seriez-vous assez barbare pour me plaisanter ? A-t-il dit (il faut vous dire en passant que le digne général d’A… est un peu sourd) ; mais n’importe, je vous ferai ma confession. J’avais mal à la tête, ma santé ne s’est pas remise de cette piqûre (il montrait sa main) ; cela ne m’aurait pourtant pas obligé à me retirer, mais j’ai senti que je serais très embarrassé ; et puis, j’ai toujours trouvé qu’un homme avait mauvaise grâce chez lui dans une assemblée nombreuse, et j’ai eu la coquetterie de ne pas vouloir que vous me vissiez promener sottement ma figure de femme en femme, de table en table. Ces sortes d’assemblées étant au contraire le triomphe des maîtresses de maison, j’ai voulu laisser jouir Madame de *** de ses avantages, et ne pas courir le risque de gâter son plaisir en lui donnant de l’humeur. Je plaisantais de tout ce raffinement, quand l’un des Français est venu mettre sa tête dans le cabinet. Ouvrant tout-à-fait la porte dès qu’il m’a aperçue : je parierais, madame, a-t-il dit en me saluant, que vous êtes la sœur, la tante, ou la mère d’une jolie personne que je viens de voir là-dedans. — Laquelle ? Ai-je dit. — Ah ! Vous le savez bien, madame, m’a-t-il répondu. J’ai dit : eh bien ! Je suis sa mère ; mais à quoi l’avez-vous deviné ? — Ce n’est pas à ses traits, m’a-t-il dit, c’est à sa contenance et à sa physionomie : mais comment pouvez-vous la laisser en butte aux fureurs ven-