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Le jeune lord nous vint voir de meilleure heure que de coutume. Cécile leva à peine les yeux de dessus son ouvrage. Elle lui fit des excuses de son inattention de la veille, trouva fort naturel qu’il s’en fût impatienté, et se blâma d’avoir montré de l’humeur. Elle le pria, après m’en avoir demandé la permission, de revenir le lendemain lui donner une leçon dont elle profiterait sûrement beaucoup mieux. — Quoi ! C’est de cela que vous vous souvenez ! lui dit-il en s’approchant d’elle et faisant semblant de regarder son ouvrage. — Oui, dit-elle, c’est de cela. — Je me flatte, dit-il, que vous n’avez pas été en colère contre moi. — Point en colère du tout, lui répondit-elle. Il sortit désabusé, c’est-à-dire, abusé. Cécile écrivit sur une carte : « Je l’ai trompé, cela n’est pourtant pas bien agréable à faire. » J’écrivis : « Non, mais cela était nécessaire, et vous avez bien fait. Je suis intéressée, Cécile. Je voudrais qu’il ne tînt qu’à vous d’épouser ce petit lord. Ses parents ne le trouveraient pas trop bon ; mais, comme ils auraient tort, peu m’importe. Pour cela, il faut tâcher de le tromper. Si vous réussissez à le tromper, il pourra dire : c’est une fille aimable, bonne, peu sensible de cette sensibilité à craindre pour un mari ; elle sera sage, je l’aime, je l’épouserai. Si vous ne réussissez pas, s’il voit à travers votre réserve, il peut dire : elle sait se vaincre, elle est sage, je l’aime, je l’estime, je l’épouserai. » Cécile me rendit les deux cartes en souriant. J’écrivis sur une troisième : « Au reste, je ne dis tromper que pour avoir plus tôt fait. Si je suis curieuse de lire une lettre qui m’est confiée, au point d’être tentée quelquefois de l’ouvrir, est-ce tromper que de ne l’ouvrir pas et de ne pas dire sans nécessité que j’en aie eu la tentation ? Pourvu que je sois toujours discrète, la confiance des autres sera aussi méritée qu’avantageuse. » — Maman, me dit Cécile, dites-moi tout ce que vous voudrez ; mais, quant à me rappeler ce que vous m’avez dit ou