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n’ont pas choisi la leur. Leurs parents, les circonstances ont fait ce choix pour eux avant qu’ils fussent en âge de connaître et de choisir. Une femme aussi est payée de cela seul qu’elle est femme. Ne nous dispense-t-on pas presque partout des travaux pénibles ? N’est-ce pas nous que les hommes garantissent du chaud, du froid, de la fatigue ? En est-il d’assez peu honnêtes pour ne vous pas céder le meilleur pavé, le sentier le moins raboteux, la place la plus commode ? Si une femme ne laisse porter aucune atteinte à ses mœurs ni à sa réputation, il faudrait qu’elle fût à d’autres égards bien odieuse, bien désagréable, pour ne pas trouver partout des égards ; et puis n’est-ce rien, après s’être attaché un honnête homme, de le fixer, de pouvoir être choisie par lui et par ses parents pour être sa compagne ? Les filles peu sages plaisent encore plus que les autres ; mais il est rare que le délire aille jusqu’à les épouser : encore plus rare qu’après les avoir épousées, un repentir humiliant ne les punisse pas d’avoir été trop séduisantes. Ma chère Cécile, un moment de cette sensibilité, à laquelle je voudrais que vous ne cédassiez plus, a souvent fait manquer à des filles aimables, et qui n’étaient pas vicieuses, un établissement avantageux, la main de l’homme qu’elles aimaient et qui les aimait. — Quoi ! Cette sensibilité qu’ils inspirent, qu’ils cherchent à inspirer, les éloigne ! — Elle les effraie, Cécile, jusqu’au moment où il sera question du mariage, on voudra que sa maîtresse soit sensible, on se plaindra si elle ne l’est pas assez. Mais quand il est question de l’épouser, supposé que la tête n’ait pas tourné entièrement, on juge déjà comme si on était mari, et un mari est une chose si différente d’un amant, que l’un ne juge de rien comme en avait jugé l’autre. On se rappelle les refus avec plaisir ; on se rappelle les faveurs avec inquiétude. La confiance qu’a témoignée une fille trop tendre ne paraît plus qu’une imprudence qu’elle peut avoir vis-à--