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vieilles coutumes, ne pourraient avoir un homme à leur service ! Une fois endetté, l’Indien devient le forçat de cet homme ; et comme il est faible, qu’il aime à boire, il s’endette sans cesse et le voilà condamné aux travaux forcés à perpétuité. S’il meurt, le fils hérite de la dette du père et prend sa place ; c’était l’ancienne loi maya. Sans cette loi et malgré des salaires élevés, les Européens coucheraient peut-être dans des lits de sapin.

— Ce ne serait pas un grand malheur, s’écria Pancho.

— D’accord : l’Indien ne pouvant quitter son maître sans payer sa dette, c’est l’entrepreneur qui la rembourse ; chaque Indien coûte ainsi de trois à cinq mille francs, et comme il faut parfois de cent cinquante à deux cents hommes, on peut juger de la mise de fonds !

« Les travailleurs sont en route ; ils sont guidés par le montéro sur l’emplacement reconnu ; là, en pleine forêt, à trente, quarante et soixante lieues de toute habitation, on établit des ranchos, comme celui que nous habitons, et il faut des convois se succédant sans relâche pour fournir à la colonie nouvelle des instruments et des vivres. Ce n’est pas tout ; les arbres tombent, on leur enlève l’aubier, on les équarrit et la marchandise s’amasse ; mais la rivière est loin et les troncs d’acajou distants les uns des autres ; c’est un chemin pour chacun qu’il faut ouvrir ! et qui les traînera ? des bœufs. Mais les bœufs dans la province sont plus rares que les hommes ; il faut aller les chercher de l’autre côté de la Cordillère, dans les plaines de Chiapas, à cent cinquante lieues de là ; ils n’y sont point chers et pour quinze à vingt piastres, cent francs, on a de belles bêtes ; une fois en route, les longues marches, la nourriture introuvable vont réduire le troupeau des trois quarts ; la forêt sera semée de cadavres, et le petit nombre de bœufs qui rejoindront le chantier seront dans un état déplorable et reviendront à plus de quatre cents francs chacun.

« Là ils meurent encore ; le travail et le mauvais fourrage les tuent, on n’a que des feuilles de ramon à leur donner. Souvent les hommes affamés, de viande fraîche, provoquent des accidents