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Indiens civilisés, dont Sulpice vous contera l’histoire ; en général ils s’en servaient pour confectionner de grands canots qui avaient jusqu’à cinquante pieds de long, sept et huit pieds de large. C’étaient, comme vous le voyez, de belles embarcations.

— Mais, dit Éléonore, comment faisaient les Indiens pour travailler du bois aussi dur, puisqu’ils n’avaient pas de haches d’acier ?

— Ils coupaient l’arbre avec leurs haches de pierre ; les Espagnols, au moment de la conquête, parlent souvent de leur adresse et de leur habileté en cette affaire ; il faut dire aussi que ces Indiens avaient également des haches de cuivre trempé, métal fort dur qui leur permettait de travailler la pierre comme le bois.

« Revenons à l’acajou ; on l’exploita d’abord dans les contrées voisines de la mer et sur le bord des grands fleuves, dans la province de Tabasco et dans le nord de la province de Chiapas ; mais, les demandes devenant de jour en jour plus importantes, les forêts, où l’on coupait sans cesse et où l’on ne replantait jamais, furent vite épuisées ; elles le sont aujourd’hui, et voilà pourquoi nous venons si loin à la recherche du précieux végétal. Sur place il n’est pas plus cher qu’autrefois ; seulement, il faut l’enlever.

— S’il ne coûte rien, père, tu as dû gagner beaucoup d’argent ?

— Heureusement pour vous, mes enfants.

« Mais à quel prix ! dit Frémont, dont la figure se rembrunit en songeant à ce long exil et aux pertes cruelles qui sans doute en avaient été la conséquence.

« Crois-tu, du reste, petit bavard, reprit-il en souriant, crois-tu qu’il soit donné à tout le monde de réussir dans une entreprise aussi difficile et très aléatoire ?

« Il faut d’abord beaucoup d’argent.

« Et si l’acajou ne coûte rien ou presque rien, puisque l’État ne nous impose qu’une légère taxe de cinq francs par pied, si les arbres sont là nombreux, droits comme des pins gigantesques, superbes et l’équivalent d’un trésor, il faut non pas seulement les couper, il faut les prendre ; les emporteras-tu sous ton bras ?