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Le lendemain 23, au petit jour, on procéda au chargement des mules, et il fallait voir avec quelle répulsion chacune d’elles acceptait son lot ; c’étaient des bonds de côté, des ruades, des protestations de toutes sortes ; quelques-unes se couchaient, qu’on bâtait par terre et qu’on aveuglait avec une couverture. C’est que les défiantes bêtes comprenaient bien de quoi il s’agissait ; elles savaient qu’il fallait dire adieu au repos chèrement acquis ; qu’il leur fallait renoncer à la ration de maïs ; qu’elles ne reverraient plus de longtemps la grande savane herbue où elles se vautraient avec délices, et qu’elles allaient échanger tous ces biens pour l’âpre sentier de la montagne, la lourde charge qui les blesse et l’insipide ramon qui les nourrit à peine.

Les mules et les chevaux des cavaliers y mettaient moins de façon, flattés peut-être dans leur amour-propre, d’endosser la selle au lieu du bât et de porter de nobles personnes au lieu d’une ignoble charge. Ces animaux, du reste, étaient plus doux et mieux dressés ; familiarisés depuis longtemps avec leurs maîtres, ils semblaient accepter avec joie une servitude facile. Chacun d’eux avait un nom. La mule d’Éléonore, qui marchait l’amble, s’appelait Golondrina, « l’hirondelle » ; la mule de Frémont, Empératriz, « l’impératrice » ; celle de Sulpice, Mariposa, « le papillon ». Quant à Pancho, il montait un petit poney trapu et fort qu’il avait appelé Morcillo en souvenir du cheval de Cortez.

Yan, le cuisinier, devait se jucher sur un bât, accompagné de ses ustensiles. Les Indiens allaient à pied.

Malgré toute l’activité qu’on déploya dans la circonstance, il était plus de dix heures quand le convoi se mit en route. Il importait peu du reste, car cette première étape devait être courte ; il est d’habitude en effet d’entraîner les mules en augmentant progressivement la distance à parcourir jusqu’à ce que l’on atteigne une moyenne, qui se modifie d’après les nécessités et la convenance des campements.

À la sortie du village, les mules de charge avaient pris les devants, guidées par la clochette de l’Indio, vieux mulet borgne, vétéran de la montagne et des plus madrés. Un Indien le suivait