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vers les huit heures. Ils furent accueillis par les invectives de Bénito, mais ils n’y prirent garde. On leur donna juste le temps de prendre une coupe de posolé avant de se remettre en route, de sorte qu’il leur fallut doubler l’étape ; ils ne l’avaient certes pas volé.

L’ascension commença : ces sentiers indiens où l’on marche à la file et qui vont droit devant eux, sans souci des montées et des descentes, s’appellent, par euphémisme sans doute, caminos reales, «routes royales». Ils n’ont point de fondrières, car jamais véhicule quelconque ne put s’y aventurer ; ils ne présentent à l’œil qu’un chaos de roches polies par les pieds nus des Indiens qui, depuis des centaines ou des milliers d’années, en ont usé la surface. Les porteurs avaient pris la tête, suivis de Morcillo passé à l’état de madrina ou marraine des mules qui le suivaient au tintement de sa clochette. Panfilo le conduisait, surveillant les Indiens. Puis venait Éléonore, toute gracieuse sur son fauteuil, accompagnée de Pétronille et de son père, que suivaient les jeunes gens et Bénito. Tous avaient la carabine en bandoulière et une grande canne alpestre. Dès les premiers pas, la montée se dessina rapide, des plus âpres, et les fronts ruisselaient. Les Indiens, malgré leurs fardeaux, grimpaient d’un pas agile et de temps à autre s’arrêtaient une seconde, poussant un sifflement aigu. C’était leur manière de se reposer, après quoi ils reprenaient leur course. Ils allaient trop vite. Frémont, par l’intermédiaire de Panfilo, dut leur intimer l’ordre de ralentir leur marche, car Pancho, malgré sa vaillance, commençait à fléchir. L’enfant se dépouilla de sa veste et de son gilet ; bientôt Frémont, Sulpice et Taylor l’imitèrent, car, avec le jour montant, la chaleur devenait insupportable. Puis on atteignit les premiers plateaux, où l’air plus vif rendit la marche plus facile. Mais tout cela n’empêchait pas nos explorateurs d’avoir l’œil au guet et de tirailler de droite et de gauche des dindes et des hoccos. Cependant on approchait du lieu désigné pour le campement, rancho élevé par les autorités de la province comme celui de Nohpat pour le transit de la montagne, lorsque sur la gauche un houloulement retentit.