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des difficultés souvent insurmontables : les torrents sont débordés, les terres détrempées ont raison des mules les plus robustes, et des fièvres pernicieuses vous enlèvent en quelques jours. Comme cette mauvaise saison dure généralement jusqu’en octobre, Frémont fixa le départ à la fin novembre ; mais quel matériel ! que d’hommes, de chevaux et de mules pour procurer le confortable aux voyageurs pendant une étape aussi longue que celle de Florès à Ténosiqué ! Le chemin direct demande huit jours, mais la visite aux chantiers d’acajou et aux ruines indiennes demanderait plus d’un mois, et quarante jours peut-être se passeraient avant qu’on rejoignît un toit et qu’on se reposât dans une demeure humaine.

Pour tout autre que Frémont, il eût été impossible de rassembler le personnel nécessaire à une telle exploration. Les animaux de charge, mules et chevaux, sont rares, et les hommes, peut-être plus rares encore, sont tous occupés à l’abatage des bois. Mais Frémont était par le fait le véritable roi du pays ; sa grande exploitation lui en avait mis en mains les forces vives ; tous les Indiens étaient dans sa dépendance, et dût le travail en souffrir, il fit venir des champs vingt mules et une douzaine d’hommes, qui vinrent prendre le mot d’ordre à Florès.

La vaste maison de don Enrique[1] se convertit aussitôt en une sorte de caravansérail où régnait une animation extraordinaire. La grande cour à portiques de l’habitation était encombrée de gens qui travaillaient à la sellerie ; c’est, avec la monture, la chose la plus précieuse pour le voyageur : car s’il importe que mules et chevaux soient bons, vaillants et robustes, il importe peut-être davantage que leurs selles et appareils soient faits à leur

  1. Disons une fois pour toutes que les noms patronymiques ne s’emploient guère chez des gens de race espagnole que dans les cérémonies ou les actes publics ; dans la vie de famille, dans les relations intimes, c’est le nom de baptême qu’on emploie, et plus souvent encore les diminutifs de ce nom ou des appellations affectueuses et familières. C’est pour cela que dans le cours de cette relation de voyage, Henri Frémont deviendra don Enrique ; Eléonore, Léonorcita ou Niña, petite maîtresse ; François, Pancho, Panchito, ou bien encore Niño ; Tata, Tatita, petit maître, de la part des inférieurs, et Acaria, don Sulpicio.