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HISTOIRE

il tire son poignard et s’en ouvre le ventre. Le second, sans rien répliquer, monte en diligence pour servir sur la table de l’empereur un plat qu’il tenait à la main, et revient ensuite trouver son adversaire qui expirait. Il lui dit que, s’il n’avait pas été occupé au service de son prince, il l’aurait prévenu, mais qu’il le suivrait de près, et mourrait content, puisque ce serait après lui avoir fait voir que son épée valait bien la sienne. En achevant ces mots, il se fend aussi le ventre, et va expirer auprès de l’autre. Deux Européens se seraient coupé la gorge : je ne décide point où il y a plus de fureur ; mais je crois que les uns n’ont rien à reprocher aux autres, si ce n’est que les Japonnais, ayant pour principe d’honneur qu’il est honteux pour un homme de craindre la mort, raisonnent plus juste en se la donnant, et vont plus sûrement à leur but.

La principale source du bon ordre qu’on admire au Japon, c’est un sentiment de religion qui est né avec eux, et dont la vivacité passe tout ce qu’on en peut dire. Heureuse disposition, à laquelle, après la grâce, on doit attribuer les étonnants progrès du christianisme dans ces îles, et qui avait fait presque autant de saints qu’il y a eu de Japonnais chrétiens. Leur grandeur d’âme naturelle les a d’ailleurs portés à se sacrifier pour