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étages de portiques à colonnes accouplées ; après, c’est le collège helvétique, moins beau que le précédent, quoiqu’il ait deux cours de portiques, mais il n’est pas construit avec tant de noblesse. Il y a une belle salle de portraits d’hommes illustres ; puis l’hôpital, dont la cour est du même goût, et la façade d’une longueur prodigieuse, demi-gothique et demi-romaine, et enfin le lazaret, bâtiment fort vanté, qui n’est autre chose qu’un cloître immense de figure carrée, ayant cent vilaines chambres de chaque côté.

Quoique j’aie dit que l’architecture des églises de Milan ne soit pas grand’chose, il en faut excepter celle de San- Fedele, aux Jésuites, par Dominico Tibaldi, dit le Pellegrini, surtout pour l’intérieur. Il n’y a d’autre tableau dans cette église qu’une Transfiguration, de Jules-César Procaccini ; mais dans la maison au-dessus du grand escalier, il y a une copie d’une Décollation de saint Jean, de Michel-Ange de Caravage, qui, quoique copie, est une des belles choses qui se puisse voir : l’original, qui est à Malte, est le chef-d’œuvre de son auteur.

L’architecture de la Madonna presso San-Celso est du fameux Bramante, à ce qu’on dit, si tant est qu’un homme si célèbre ait pu mettre l’ordre dorique au-dessus du corinthien, ce qui fait tout le méchant effet qu’on peut en attendre. Cependant le portail, précédé par une bonne colonnade, a plusieurs bonnes statues et surtout une Ève digne de l’antique, par Adolphe Florentin. L’intérieur de l’église est fort riche ; tout le pavé et les murs sont revêtus de marbre : l’autel principal est de pierres précieuses, comme à Pavie, mais moins belles. L’autel de la Madonna est soutenu par quatre colonnes cannelées d’argent, dont les chapiteaux sont de vermeil. Dans une chapelle est un beau tableau de Saint Jérôme, de Paris Bordone ; et dans la sacristie une Sainte-Famille de Léonard de Vinci ; mais tous les beaux tableaux que je vois ici à tout moment ne sont rien à côté d’une Sainte-Famille qui est dans cette même sacristie : la grâce, la finesse de l’expression, la beauté de l’ordonnance, tout y porte le caractère de son auteur : vous n’avez pas besoin après cela que j’ajoute qu’elle est de Raphaël[1]. À bon compte,

  1. Cette Sainte Famille a disparu. On voit à Brera une autre peinture de Raphaël, Le Mariage de la Vierge, dont De Brosses ne parle pas.