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en existe ; mais aussi il faut rendre justice à l’ouvrage. S’il étoit vrai qu’elle existât, ce seroit une belle chose : je ne lui sais de défaut que de n’être pas. Raillerie à part, à peine y a-t-il une troisième partie de cet immense édifice qui soit faite ; depuis plus de trois cents ans qu’on y travaille, et quoiqu’il y ait tous les jours des ouvriers, il ne sera probablement pas fini dans dix siècles, c’est-à-dire qu’il ne le sera jamais[1]. Si on l’achevoit, ce seroit le plus vaste morceau de gothique qu’il y eût au monde ; on entretient même ici une école de goût gothique pour les ouvriers qui y travaillent. Depuis que cet ouvrage est commencé, il a eu des millions de successions, et, pour n’en pas faire cesser la méthode, on ne se presse pas de finir l’ouvrage.

Le dedans de l’église est très-obscur, dénué de tout ornement et de tout agrément. Voilà le mal que j’ai à en dire ; je commence par là, parce qu’il commença lui-même à me mettre de mauvaise humeur. Il y a cependant dans le détail beaucoup de choses remarquables : l’édifice est d’une grandeur surprenante, surtout ne paraissant pas tel au premier coup d’œil. Il y a dedans double collatérale, non compris les chapelles ; le tout soutenu par six rangs de piliers de marbre blanc d’une grosseur et d’une hauteur extraordinaires ; le pavé est de marbre de rapport, employé, non pas en revêtissement comme ailleurs, mais en grosses pierres de taille : il n’est fait qu’à moitié. Tout l’intérieur de l’édifice est de même de marbre blanc. C’est cet article dont la dépense ne se peut concevoir ; car non seulement les ouvrages et ornements dont fourmille le gothique en sont, mais le toit même de l’édifice n’est fait que de grandes pierres de cinq ou six pieds en carré.

Il faut monter sur le Dôme pour y trouver des travaux énormes, à quoi on ne s’attendoit pas et qui sont là très-inutilement. Tout le tour de l’église, soit à côté, soit derrière, est du même dessin et d’autant d’ouvrage que la façade. On a plus avancé de ces côtés-là qu’au devant, dont le pauvre état, frappant toujours les yeux, excite davantage les âmes pieuses à la libéralité. C’est ce tour qui est habité par un peuple de statues suffisant pour faire

  1. La basilique de Milan a été terminée par Napoléon Ier