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du palais Doria est fort estimée ; mais j’aime beaucoup mieux celle du palais Balbi, que le maître a donné aux Jésuites pour en faire une congrégation. Ce qu’il y a de mieux au palais Doria sont les tapisseries représentant les portraits de cette célèbre famille, et une autre tenture, sur les dessins de Jules Romain, estimée 110,000 livres. Il y a aussi de beaux cabinets remplis de pierreries ; une sainte Thérèse de bronze qui me charma : c’est un ouvrage du Florentin, le même qui a sculpté en argent, sur un miroir fort remarquable, un Massacre des Innocents, dont j’ai oublié de parler en son ordre quand j’étois au palais Durazzo. Le reste des appartements du palais Doria, en grottes, bains, chapelles, tableaux, me parut médiocre, quoi qu’il y ait de bonnes choses en tous les genres ; mais j’en venois de voir de meilleures. Les jardins en l’air répondant à divers étages sont vraiment curieux. Il y a dans Gênes grand nombre de ces sortes de jardins ; l’inégalité du terrain et le peu qu’on en a, a donné lieu d’employer ces sortes de constructions faites sur des terrasses qui, bâties ou ménagées exprès à côté des appartements, réparent à grands frais le défaut d’air qui règne dans la ville. Une partie de ces jardins sur les toits ont de beaux jets d’eau ; les grands appartements, qui sont toujours ici au second étage, ont aussi des kiosques à la turque pour se promener en plein air. Misson nie effrontément ces jardins en l’air, et dit que ce ne sont que des pots de fleurs sur des fenêtres ; cela prouve bien qu’il n’a jamais été à Gênes, ou du moins qu’il n’a fait qu’y passer.

Le vieux palais Doria[1], hors la ville, étoit jadis ce qu’il y avoit de plus beau, et l’est encore à certains égards tout négligé qu’il est. Son jardin est l’endroit public où l’on se promène. Il y a un fort grand bassin de marbre d’où partent des jets d’eau de tous côtés, et au milieu un gros diable de Neptune représentant le fameux Doria, le marin. Tout cela n’est rien en comparaison des magnifiques terrasses de marbre de Carrare qui régnent à plusieurs étages tout le long de la mer, vidées et soutenues de fond en comble par des colonnes de même. C’est de là qu’on a infiniment mieux que de nulle part ailleurs la vue du port, des vaisseaux, de la ville en amphithéâtre,


  1. Ce palais est extrêmement négligé et presque abandonné. Magnifiques débris des fresques de Perino del Vaga, élève de Raphaël.