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célèbres morceaux de ce peintre ; il étoit à Venise chez des moines bénédictins, de qui Spinola l’acheta furtivement 40,000 livres, sans compter tout ce qu’il fut obligé de donner de belle main à chaque moine pour gagner leurs suffrages. La république qui avoit fait de grandes défenses de laisser sortir ce tableau de Venise, mit à prix la tête de Spinola, s’il étoit pris sur les terres de Venise, et chassa de l’État tous les religieux de ce couvent. Du moins, voilà ce que l’on m’en a conté, je n’en garantis point la vérité. (Je ne me souviens pas trop aujourd’hui de ce que c’est que ce Festin du Véronèse ; on ne connoît à Venise que quatre Festins du Véronèse, dont trois sont encore dans la même ville, et le quatrième a été donné par la république au roi de France ; on le voit à Versailles dans le beau salon d’Hercule.) Je vis enfin un Vitellius antique de granit, si fini, si vivant, que je n’eus pas de peine à croire celui qui me dit que ce morceau seul valoit plus que tout le reste du palais ensemble. Jules Romain l’a copié dans sa Bacchanale pour représenter la figure du goinfre qui est assis dans le char de triomphe. (C’est un des plus beaux bustes d’empereurs qui subsistent ; il peut aller de pair avec le Jules César du palais Casali et presque même avec le Caracalla du palais Farnèse.)

Le palais de Philippe Durazzo n’est pas si riche que le précédent ; mais, à l’exception du tableau ci-dessus du Véronèse, ceux de cette maison-ci sont plus beaux. Je n’eus le temps de les examiner qu’en gros ; mais tout est plein de morceaux des Carraches, du Guide, de Rubens, de Van Dyck,du Tintoret, de l’Espagnolet, du Dominiquin, du Caravage, etc.[1]. Parmi tout cela, ceux du Guide me parurent tenir le premier rang. J’avois bien du plaisir dans ce dernier endroit ; il fallut pourtant en sortir pour aller voir le palais Doria, dans la rue Neuve, dont les beautés sont d’un genre différent.

En montant l’escalier du palais Doria, je remarquai une lanterne faite d’un bassin d’argent, creux, poli et posé debout, fermé par un grand verre à loupe ; lorsqu’il y a des lampes dedans, il est aussi difficile d’en soutenir la vue que celle du soleil. Je crois qu’elle a servi de modèle pour nos lanternes de chaises de poste. L’architecture


  1. Galerie encore splendide.