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Napolitain (Philippe Angeli), La salle de l’arsenal n’est, à vrai dire, qu’une boutique de vieille ferraille. On me montra, sur la porte, un rostrum, ou éperon de galère des anciens Romains, trouvé en 1597, en nettoyant le port, à ce que porte un marbre qui est au-dessous. Je vis les cuirasses qu’ont dit avoir servi aux dames génoises, lors de la croisade féminine dont Misson a écrit l’histoire ; les corps en sont larges et courts, et ridiculement bossus par-devant. On dit que c’est à cause des tétons. S’il est vrai, ces braves chevalières les portaient gros et pendants.

Le plus beau de tous les palais de Gênes est, à mon gré, celui de Marcel Durazzo[1], rue de Balbi. Me souviendrai-je bien de tout ce que j’y ai vu ? Cela seroit long. Dans la grande salle en entrant, deux tableaux de cérémonies turques, par Bertolotti ; dans la suivante, trois tableaux du Giordano : Sénèque, Olinde et Persée, traités d’un pinceau si différent qu’il faut se donner au diable pour croire que c’est du même homme. Plus une belle Vierge du Capuccino (Strozza Bernardi). Les appartements sont magnifiquement meublés, pavés de stuc[2] ; tous les plafonds dorés de bon goût ; les tables et revêtissements des fenêtres et portes, de marbres singuliers. Les tapisseries, de moires peintes avec des jus d’herbes, par Romanelli, sur des originaux de Raphaël ; de grands cabinets remplis de mille chiffonneries, entre autres un bas-relief d’ivoire, long de deux pouces, représentant une bataille où il paraît y avoir quatre ou cinq mille figures, toutes distinctes et caractérisées. Les terrasses ont leurs vues sur la mer, et sont ornées de balustrades chargées d’arbres dans de grosses urnes de marbre. La galerie est pleine de belles statues antiques et modernes, entre lesquelles je distinguai un Faune et un Narcisse. Dans la chapelle, un autre enfant au plafond, qui plafonne mieux qu’aucune figure que j’aie encore vue. Dans les appartements une Durazzo, de Van Dyck ; deux morceaux du Bassan, deux de Carlo Dolci, un beau paysage de Benedetto Castiglione ; le fameux tableau de Paul Véronèse, représentant le festin chez le Pharisien[3]. C’est un des plus



  1. Aujourd’hui Palazzo Reale.
  2. Pavés à la vénitienne, et non en stuc.
  3. L’original est au musée de Turin. Il ne reste à Gènes qu’une belle copie.