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et les jeunes gens auront sans doute reconnu que tant d’assiduité n’est pas le moyen de réussir auprès des femmes.

Les conversations ou assemblées ne sont pas quelque chose de bien amusant ; on y distribue force glaces et chocolats. On y joue, non pas un certain nombre de tours réglés, mais seulement autant qu’il plaît à la dame, et l’on ne paie point les cartes. Nous avons eu la gloire d’apporter à Gènes le Médiateur[1], et tout franc, c’est un assez méchant présent à la ville. Ces conversations commencent à huit ou neuf heures et finissent à minuit ou une heure ; on ne sait ce que c’est que souper ou donner à manger.

Les hommes sont, dit-on, aussi superbes que la ville, et leurs politesses, quand ils en font, ne passent pas l’épiderme. Nous avons été fort négligés de ceux sur qui nous comptions, et parfaitement bien reçus de ceux sur qui nous ne comptions guère.

Les nobles ne sont pas tous aussi anciens qu’ils le prétendent. Dans le temps des troubles de la république, on obligea tous ceux qui n’avoient pas six chefs de famille dans leurs maisons à se joindre à ceux-ci, et à en prendre le nom et les armes. Depuis le gouvernement rétabli, on remit les choses sur l’ancien pied. Les uns reprirent leur nom ; mais d’autres, qui crurent y gagner, conservèrent le nouveau, et sont actuellement de la même famille.

Neuilly, à qui j’écrivis l’autre jour, aura dû vous dire que je ne vais plus à Rome, mais à Venise, à cause des chaleurs ; ainsi c’est là qu’il faut m’écrire tout présentement : Il vous aura dit encore que j’ai mal fait de marquer que les lettres n’avoient pas besoin d’affranchissement ; elles en ont besoin jusqu’au pont de Beauvoisin, dès que l’on n’écrit pas à Rome ou sur la route ; c’est-à-dire à Turin, Gênes, Livourne, Pise, Florence, Sienne et Viterbe. La poste de France a un bureau et un directeur à Rome ; ainsi, si vous m’avez écrit, comptez votre lettre pour fort aventurée, et recommencez bien au long sur nouveaux frais. Ne manquez pas de donner de mes nouvelles à mon frère. Mille compliments à votre femme, à la Pousseline, aux petites dames, à nos amés et féaux


  1. Jeu de cartes à la mode en France à cette époque