Page:Charles de Brosses - Lettres familières écrites d’Italie - ed Poulet-Malassis 1858.djvu/52

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


À la Majeure, c’est-à-dire la cathédrale, on trouve d’admirables tableaux du Puget. Celui du Sauveur m’a paru le meilleur. Près de saint Laurent, une inscription en langue orientale, que je ne pus ni lire ni entendre. Il y a aussi des antiquités du temps de la république de Marseille, antérieures à César ; mais nous ne pûmes les voir, parce qu’elles se trouvent maintenant renfermées dans des maisons de religieuses.

La salle de la comédie est grande et bien ornée. C’est peine perdue que de l’avoir faite telle, car il n’y va qui que ce soit. Les comédiens se trouveroiont bien flattés d’une de nos méchantes représentations. J’y allai, cependant, le jour à la mode. La pièce n’étoit pas assez bonne pour me captiver ; je m’accostai d’une petite comédienne fort drôle, dans la loge de laquelle nous fîmes une répétition. Le concert est plus suivi et mérite de l’être, quoique inférieur à ce que l’on en dit. L’orchestre est fort nombreux en voix et instruments. Il n’y a rien là-dedans de bien distingué ; mais l’ensemble en est bon, surtout les chœurs qui vont à merveille.

On prend ici du café admirable ; mais il est à peu près impossible d’en transporter hors de Marseille ; les habitants n’en peuvent presque plus avoir pour eux. La Compagnie des Indes faisant, contre la règle, arriver ici son café des îles et le débitant à rien, pour empêcher qu’on achète celui de Moka. Imagineriez-vous bien qu’elle pousse la perfidie jusqu’à envoyer cette affreuse graine dans les échelles du Levant, d’où on l’amène ici comme café de l’Arabie ?

Parlons maintenant de mon départ ; c’est l’article le plus difficile à arranger, à cause des contre-temps et des irrésolutions continuelles de mes camarades. Nous laissons partir sans nous le cardinal de Tencin, qui va droit à Rome. Pour nous, nous voulons voir Gênes, Livourne, Pise ; et de plus, un neveu du camérier, qu’il emmène avec toute sa suite, fait que son vaisseau est si plein, que nous y aurions été très-mal. Nous avons donc pris une felouque pour nous porter à Gênes ; et, comme les Lacurne craignent la mer encore tout autrement que Loppin ne craignoit le Rhône, nous envoyons la felouque nous attendre à Antibes, où il faudra se rendre en poste par un long détour plus fatigant que la mer. — Tout ce que je