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entre de gros vaisseaux. Il y a un troisième fort situé sur une hauteur, c’est celui de Notre-Dame-de-la-Garde, mais le premier est le meilleur des trois.

Un curieux dans ses voyages ne s’attache pas aux seules productions de l’art, comme sont les édifices et les peintures ; il recherche aussi soigneusement celles de la nature. Ici, par exemple, je me suis adonné à examiner les poissons de la mer, et j’ai tourné mon examen du côté du goût qu’ils pouvoient avoir. Sardines, melels, rougets, surmulets, loups, dorades, turbots, raies bouclées ou autres, sipillons, toutênes, vives, maquereaux, voilà ce qu’un gentilhomme de ce pays-ci, M. d’Arcussia, exposa hier à ma physique, dans le plus grand repas de poisson que j’aie jamais vu, même chez Bernard. Mon étude fut profonde ; et, pour vous dire ma décision, le poisson qui se trouve dans la Méditerranée seule est admirable ; mais celui qu’elle a de commun avec l’Océan est fort inférieur à celui de cette mer. Je ne vous parle pas du thon frais, dont la pêche a été si abondante cette année, qu’il reste pour les valets. L’Intendant nous donna aussi hier à souper, mais beaucoup moins bien.

Il n’y a point du tout d’équipages à Marseille, ils seroient inutiles dans toute la vieille ville, qui est interdite à madame de Ganay, même à pied. On s’y sert de seules chaises à porteurs, ou l’on va à pied. Cette dernière allure est moins chaude que l’on ne pense, par le soin qu’on a par toute la Provence, de tendre des toiles, d’une maison à l’autre, en travers de la rue.

En général, je n’ai trouvé ce pays-ci ni aussi chaud ni aussi beau que je m’y attendois. Pour le premier article, il n’y croît ni blé ni bois. On trouve en cette province à chaque pas l’agréable et jamais le nécessaire. Aussi, à vous parler net, la Provence n’est qu’une gueuse parfumée.

Je ne sais pas grand’chose à Marseille à citer, outre ce que je vous ai déjà rapporté. L’abbaye de Saint- Victor, vieux couvent plus ancien que la Monarchie, a quelques vieux cloîtres délabrés, une église souterraine, des pavés de marbre tout gâtés, de méchants bas-reliefs, et autres chétives antiquités du Bas-Empire, qui ne valoient pas la peine que je me donnai pour les voir, si ce n’est cependant un très-beau morceau de sculpture antique nommé le Tombeau des Innocents.