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ne manqueroit pas de le faire. Ce roi René est le même qui a été longtemps prisonnier à Dijon dans la tour de la maison royale, appelée la Tour de Bar, où l’on voyoit encore, il y a peu de temps, quelques peintures à fresque de sa main sur les murailles.

Le palais du vice-légat est vieux, fort mal logeable, et les appartements ne valent pas la peine d’être vus. Celui d’à présent se nomme Buondelmonti. C’est un homme de cinquante ans, fort poli, qui nous donna une lettre de recommandation pour son neveu à Rome. Il commande ici en chef depuis cinq ans, et, au sortir de là, il sera, selon l’usage, fait cardinal. Il est vêtu singulièrement, d’une espèce de veste assez longue, couverte d’un pet-en-l’air à manches tailladées, dont les ouvertures sont garnies de petits boutons et boutonnières, le tout de damas noir, ce qui le fait ressembler bien fort à feu Scaramouche. Il entretient une compagnie de cavalerie de quarante hommes et une de cent hommes d’infanterie. Ses gardes ont des uniformes d’écarlate, galonnés d’argent sur toutes les tailles. Les Suisses sont encore plus originaux pour l’habillement que leur maître. Tout cela marche à tout propos, même quand il reconduit une visite. Ce n’est pas avec les revenus de la vice-légation, qui ne passent pas vingt mille livres, qu’il tient cet état ; mais il est riche de son patrimoine. Communément les vice-légats ne sont pas en bonne intelligence avec les archevêques ; cela n’est pas d’aujourd’hui. L’archevêque, Piémontais de nation, vieux bonhomme de quatre-vingts ans, ne se mêle de rien.

La cathédrale est dans l’enceinte du château. On y monte par un escalier qui a beaucoup de l’air de celui que vous venez de faire construire au palais des États. L’église est obscure et décorée seulement par une tribune assez bonne. Au-dessus de l’autel est une Assomption de Parrocel ; derrière est le chœur, où sont tous les papes d’Avignon, en bas-reliefs de bois doré, précisément comme vos magots, sur la façade du palais des États, qui, selon vous, représentent une suite d’Élus[1]. Je m’arrêtai à droite, vers une Vierge que je reconnus être de Raphaël,

  1. Les Élus-généraux formaient une commission, composée des présidents des trois ordres et administraient au nom des États particuliers de la province qui s’assemblaient tous les trois ans.