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car je penserai toujours qu’il y aura de la jalousie de votre part :


Or, écoutez l’histoire entière
De votre ami le Bourguignon,
Qui, tout le long de la rivière,
Avec Loppin, son compagnon.
Pour s’avancer sur la frontière,
Est allé jusqu’en Avignon.


Vous savez comment nous partîmes tous les deux, samedi 30 mai, sur les huit heures du soir, dans ma chaise de poste, qui nous mena d’une tire déjeuner à Mâcon, ou mes chevaux m’attendoient. J’y laissai ma chaise, mon cousin Loppin, mes hardes et mon fidèle valet de chambre, le seigneur Pernet, pour aller voir ma sœur[1]. Je la trouvai s’arrangeant dans son ménage et dans sa nouvelle maison. On me fit grand’chère à souper en fruits nouveaux fraises, petits pois et artichauts. Je fais mention de ceci, parce que j’ai appris de notre ami le P. Labat, que l’on ne doit jamais omettre ce qui se mange, et que les bons esprits qui lisent une relation s’attachent toujours plus volontiers à cet article qu’à d’autres. J’y séjournai le lendemain, et le 2 juin je partis à cheval pour aller à Lyon, où M. Loppin avoit dû se rendre dès la veille par la diligence. La chaleur de la route étoit capable, si le chemin avoit été plus long, de me faire trouver la Norwége à Rome ; mais ce fut bien pis en arrivant. Mon cousin le géomètre, ami intime des lignes droites, s’étoit opposé de tout son pouvoir à la courbe que j’avois décrite du côté de Neuville. Sa démonstration n’ayant pas prévalu, il jugea à propos de s’en venger. Nous nous étions donné rendez-vous à l’hôtel du Parc ; j’y arrive, néant. Je vous avoue que, si je n’eusse pas été en chemin pour Rome, je me serois trouvé dans la nécessité d’y aller pour obtenir des indulgences, tant le démon de l’impatience s’étoit emparé de ma personne. Me voilà donc parcourant toutes les auberges ; et, après avoir pris une peine inutile, me retrouvant sans malles, sans cousin, et qui pis est sans argent. Mais au milieu de

  1. Chanoinesse du chapitre de Neuville