Page:Charles de Brosses - Lettres familières écrites d’Italie - ed Poulet-Malassis 1858.djvu/273

Cette page n’a pas encore été corrigée


plus belle rue qui soit dans aucune ville de l’Europe. Mais quoi ! elle est indignement défigurée par un demi-pied de boue et par deux rangs d’infâmes échoppes et boutiques de charcutiers qui régnent tout le long et masquent les maisons. Outre ceci, il y a en divers quartiers de la ville trois ou quatre points de vue qui méritent d’être remarqués. Pour le surplus, les autres rues sont borgnes et vilaines.


La façade du palais royal, à trois ordres de pilastres, par Dominique Fontana, est un morceau d’architecture d’une rare beauté. Le nouveau roi, depuis sa conquête, vient de le faire orner en dedans et à grands frais. Tous les chambranles des portes sont de marbre. Les meubles sont riches et neufs. Je remarquai qu’il n’y avoit point de lit dans l’appartement du roi, tant il est exact à coucher dans celui de la reine. Voilà sans doute un beau modèle d’assiduité conjugale : Che’ huon pro’ faccia alla di loro maestà ! Je veux aussi mettre en note une chose fort commode et aisée à pratiquer que j’ai vu mettre en usage dans le palais ; c’est d’étendre pour l’hiver dans chaque chambre une natte de paille de la grandeur et de la figure exacte de la chambre. Je crois que nous ferions fort bien d’introduire cette coutume en France, moyennant quoi on pourroit avoir pour l’été de beaux parquets de pierres polies, au lieu de nos parquets de bois difficiles à nettoyer en tous temps, qui forment pendant l’hiver de vrais pépinières de vents coulis, dont un lambeau de tapis de Perse qui les couvre alors ne garantit que dans une petite partie de l’appartement.


Les curiosités du palais sont en grand nombre ; c’est toute la riche collection de la maison Farnese qu’on a transportée de Parme à Naples. La précipitation avec laquelle on a arraché les tableaux, à cause de la circonstance de la guerre, et la négligence indigne avec laquelle on les a tenus depuis, les a fort endommagés. Tout ceci étoit resté jusqu’à présent fort mal en ordre, et ne commence que depuis peu à prendre quelque arrangement par les soins du sieur Venuti, lieutenant de galères ; c’est un gentilhomme florentin, fort habile, surtout en ce qui regarde les médailles. Il y a ici de quoi satisfaire son goût à cet égard. Le recueil de la maison Farnese est un des plus beaux et des plus complets qu’il y ait en Europe. J’ai